COVID-19: une faillite gouvernementale

Ayant débuté en février 2020, l’épidémie a vu ses effets décuplés par l’inaction gouvernementale à plusieurs niveaux, notamment au niveau des campagnes de sensibilisation du public aux dangers du virus (pourtant déjà très connus), ou bien l’absence de décision concernant la fermeture des frontières pour endiguer sa propagation. Après plus d’un mois de tergiversations, le gouvernement se résigne enfin à imposer un couvre-feu le 17 mars 2020. 

Plus tôt, le porte-parole du ministère de la santé, Mr. Saif al Badr, avait confirmé que la situation sanitaire en Irak empirait du fait du manque de financements publics sans pour autant admettre que le gouvernement était dépassé: “Le manque de ressources affaiblit nos efforts de lutte contre l’épidémie. [Toutefois], malgré les défaillances du gouvernement, il faut admettre que le ministère de la Santé a fait face à l’épidémie de manière proportionnée.” 

Tout au long de la propagation du virus, de nombreux incidents ont eu lieu dans les hôpitaux où des médecins et des membres du personnel soignant ont été pris pour cible par des familles de patients. L’accumulation des incidents a poussé le personnel soignant à manifester le 7 septembre dernier en demandant l’activation de la clause numéro six de la loi pour la protection du corps médical. Cette clause prévoit une peine sévère envers quiconque agresse un médecin dans l’exercice de ses fonctions. Dans la rue, les médecins ont également réclamé que les nouveaux diplômés en médecine soient embauchés par le gouvernement, ce qu’il doit normalement faire chaque année. Toutefois, ces demandes n’ont pas étés satisfaites jusqu’à ce jour. 

La pénurie de matériel médical, notamment respiratoire, des blouses de médecins, masques ou gants a frappé l’essentiel des hôpitaux du pays. Cependant, les provinces du sud de l’Irak, qui sont par ailleurs les plus pauvres, ont encore plus souffert. Mais c’est dans ces mêmes régions que d’importantes initiatives sociales ont vu le jour grâce à des philanthropes locaux. 

Samawah est la capitale de la province de Muthana, une des plus pauvres du pays. Ici, le prix d’un masque a atteint 1.5 dollar pièce (près de 2000 dinar irakiens). Pour faire face à ces prix exorbitants, Jawad al Samawi a entrepris d’acheter pour cent dollars de tissu médical afin de confectionner quelque 6000 masques chaque semaine. Il s’est ensuite appuyé sur de jeunes volontaires pour les distribuer en ville. Interviewé par The Red Line, Mr. al samawi a retracé son parcours humanitaire au service de l’endiguement de l’épidémie de COVID-19 en Irak: “J’ai mis mes compétences professionnelles au service de ma ville dès les premiers jours de la pandémie. J’ai ressenti cela comme un devoir”, explique-t il

Selon les patients des hôpitaux de la province de Muthanna, les centres hospitaliers universitaires et les autres infrastructures de soin ont été sur au bord de l’effondrement. Suite à cette catastrophe, le département de santé du gouvernorat n’a pas été en mesure de donner des explications crédibles de la situation. Par la suite, le directeur de ce département, Mr. Basil Sabr a annoncé que tous les hôpitaux irakiens avaient failli mettre la clé sous la porte du fait des manques de financement, tout en louant les initiatives solidaires et la coopération entre Irakiens ayant vu le jour. 

La solidarité, pas plus

Dans d’autres régions du pays, comme à Mossoul où la guerre contre l’organisation État Islamique a causé des destructions dont la ville ne s’est jamais remise, l’épidémie de COVID-19 a ajouté de nouvelles pressions sur les infrastructures du pays. Ici, les initiatives de solidarité ne se sont pas limités à l’approvisionnement gratuit d’équipement médical dans les hôpitaux. Il y a également eu des campagnes de sensibilisation développées par des journalistes locaux. 

Comme d’autres professionnels de l’information à Mossoul, Saqer Hashem a mis ses compétences à profit pour organiser des campagnes d’information sur les réseaux sociaux et pour distribuer des brochures contenant les points clefs à propos de l’épidémie, rappelant l’importance de la distanciation sociale et des mesures de prévention de la contamination. “Ce projet s’est fait spontanément, nous avons décidé de le mener à bien avec mes collègues. Il émane de notre amour pour notre ville”, narre Sager. 

Au même moment dans Mossoul d’autres initiatives plus classiques ont été observées. Militant de 29 ans, Abdulaziz al Saleh est l’un des six volontaires ayant fourni du matériel médical et une assistance aux nécessiteux dans Mossoul. En rappelant les raisons ayant motivé son engagement, il décrit les conditions sanitaires de Mossoul: “Il y a trois hôpitaux dans Mossoul. Et ils ont tous souffert de pénuries d’à peu près tout à un moment ou à un autre: oxygène, lits, médicaments, matériel de protection…” , raconte-t-il. 

Selon le ministère irakien du Plan, le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté est de 37.7%. Plus encore, il n’y a qu’un lit d’hôpital pour 3000 habitants. La propagation de l’épidémie a augmenté le niveau de pauvreté de la ville tout en accentuant le nombre de cas de négligence par un personnel médical à bout de souffle. 

En plus de leurs heures de travail, de nombreux membres du personnel soignant attestent s’être engagés dans le volontariat pour alléger les souffrances des habitants de la ville: “Après nos heures à l’hôpital, nous avons mis en place tout une série d’initiatives”, nous explique Sorour al Husseini. Comme lui, des dizaines d’infirmiers se sont mobilisés pour aider les patients quand d’autres offraient de l’oxygène et des équipements pour mesurer le pouls des patients. Ils se sont également mobilisés pour livrer des médicaments aux malades qui ne souhaitaient pas sortir de chez eux. 

Au pic de l’épidémie, on aurait dit que les entreprises solidaires avaient pris le dessus sur les institutions médicales classiques. Les habitants de Mossoul n’attendaient plus que quelqu’un vienne s’occuper de leurs maux, mais avaient eux-mêmes pris en charge leur traitement. Parallèlement aux soins et à l’assistance médicale, de nombreux volontaires ont fourni à manger aux plus nécessiteux: “On n’a pas travaillé seulement sur le plan sanitaire, des nombreux volontaires ont amené des paniers de nourriture aux pauvres devenus encore plus vulnérables du fait de la crise du COVID-19”, nous explique Ammar Iyad, un militant mossouliote. 

Manque d’eau

A la crise sanitaire et aux vulnérabilités des plus défavorisés, la faim et la raréfaction des fournitures médicales, les habitants de Mossoul ont également souffert du manque d’eau, d’une baisse de la qualité de l’eau ainsi que de problèmes de distribution suite à la mise en place du couvre-feu par le gouvernement. Dans le gouvernorat de Wasit, les restrictions de déplacements entre provinces ont compliqué la livraison de nourriture et d’eau potable, ce qui a causé une flambée des prix. Le prix de l’eau ayant doublé, l’impact de la situation a été le plus sévère sur les plus pauvres de la province. La crise a donc poussé des volontaires à s’unir et prendre les choses en main. Ainsi, quelque trente personnes se sont rassemblées pour commencer à transporter de l’eau potable dans les bidonvilles de Wasit. L’équipe a livré près de 4000 litres d’eau quotidiennement. 

“On est parvenu à réduire les besoins en eau des quartiers pauvres tout en collaborant avec les autorités locales pour aseptiser les rues et les maisons”, nous explique Ayar Tomaz al-Shammari, un militant de quarante ans. Son équipe et lui ont continué leur travail volontaire en distribuant des bouteilles d’oxygène aux anciens patients en voie de guérison chez eux alors que la pénurie rendait impossible l’obtention de traitements dans les hôpitaux. 

Lutte contre les fake news

Un aspect important que les volontaires ont pris au sérieux concerne la propagation de fake news autour du Coronavirus. Plusieurs initiatives ont émergé pour contrer le phénomène, notamment concernant de fausses rumeurs sur l’origine et les méthodes de transmission du virus jusqu’aux soupçons de complot derrière les campagnes de vaccination à venir. 

Dès le départ de l’épidémie en Irak, la docteure Raghad Al-Suhail, qui est également auteure et virologue, a commencé à émettre des conseils pour les Irakiens via les réseaux sociaux. “J’ai commencé à informer le public avec ma page facebook en profitant du nombre important de gens qui me suivent et parce que mon poste de chercheuse en virologie m’a donné une certaine légitimité. Mes qualifications m’ont grandement aidé à toucher un nombre important d’Irakiens pendant l’épidémie”, nous raconte-t-elle.

Dr. al Suhail a commencé par rappeler l’importance de porter des masques et tout autre équipement barrière. Elle s’est également exprimée sur l’importance de l’hygiène du matériel et des aliments ainsi que sur l’importance de la distanciation sociale. “J’étais motivée par mes préoccupations envers mes concitoyens, j’avais une responsabilité envers eux”, nous explique-telle. 

Alors que les fake news ont continué à se propager à travers le pays, Raghad Al-Suhail a été une des premières à mentionner le danger de laisser les fausses rumeurs circuler. Avec d’autres militants, elle a sensibilisé les Irakiens au fait que le personnel médical n’est pas à blâmer pour la situation catastrophique du système sanitaire du pays. 

Un secteur de Santé à genoux

La crise du COVID-19 a montré l’étendue de la vulnérabilité du secteur de la santé publique. En plein pic de l’épidémie, des vidéos ont émergé montrant le personnel médical de l’hôpital al Karkh à Bagdad utilisant des équipement de protection sanitaires périmés et réutilisés. Après avoir confirmé l’anecdote sur les réseaux sociaux, une infirmière du nom d’Atika opérant dans l’hôpital de Yarmouk a été punie par sa hiérarchie en étant transférée en dehors de la ville. 

Joint par The Red Line, le directeur de l’hôpital al Karkh, Mr. Jasb al Hijami n’a pas nié les faits, ajoutant que la sanction visait à prévenir la propagation de rumeurs pouvant mener à des débordements publics. “Ces informations peuvent être mal interprétées et exagérées. Ces histoires sont déformées par ceux qui les partagent sur internet” argumente-t-il. 

Les pauvres capacités de gestion sanitaire du gouvernement irakien ont encouragé une solidarité sociale durant la crise. Cela montre que les irakiens ont développé un système social parallèle depuis 2003 et qui continue de se développer, en particulier en période de crise. Depuis la chute du régime baathiste, les dirigeants successifs ont littéralement vécu dans des univers parallèles dans lesquels les conflits politiques et les luttes perpétuelles pour les ressources et le pouvoir ont forcé les Irakiens à ne compter que sur eux-mêmes plutôt que de s’en remettre à un État qui néglige ses obligations.

ViaZainab Al-Mashat