Politique

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En Irak, l’opposition kurde iranienne organise sa survie


CHAPO Retranchées en Irak depuis le début des années 80, plusieurs organisations kurdes d’Iran n’ont eu d’autre choix, pour continuer d’exister, que de prendre le chemin de l’exil. Ciblés de manière régulière par Téhéran, ces hommes et ces femmes vivent des heures particulièrement difficiles depuis le début du soulèvement lié à la mort de Mahsa Amini.

Voilà un peu plus d’une heure que nous avons quitté la capitale de la région autonome du Kurdistan irakien (KRI), Erbil, et que nous roulons vers l’Est. Sur les contreforts des monts Zagros, qui marquent la frontière naturelle entre l’Irak et l’Iran, à l’abri des regards, un village retiré, gardé par des hommes et des femmes armés. Difficile de savoir s’il s’agit d’une simple bourgade, d’un camp de réfugiés, ou dans un centre d’entraînement militaire. En réalité, c’est un peu les trois à la fois : nous venons de pénétrer dans l’un des camps du Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI), une organisation politico-militaire née en Iran au début des années 40, et qui a survécu à l’intense répression qui l’a visée sur ses terres en se relocalisant au Kurdistan irakien au début des années 1980.



Si le lieu accueille un nombre important de civils, le PDKI forme et entraine plusieurs dizaines de nouvelles recrues au maniement des armes et au combat. Chaque année, ils sont des dizaines de jeunes garçons et de jeunes femmes à traverser la frontière afin d’intégrer les rangs de l’organisation, qui explique se battre politiquement pour un Iran fédéral et démocratique.

La plupart d’entre eux ont quitté l’Iran sans prévenir leurs familles, las d’une superposition de discriminations dans leur pays natal. Un constat particulièrement vrai pour les dizaines de jeunes femmes qui ont intégré les rangs du parti. « Elles y trouvent un espace de socialisation très important, et c’est quelque chose qui leur faisait défaut en Iran », note le chercheur à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne Arthur Quesnay.



Shanou (à droite), 20 ans à peine, a très vite pris des responsabilités au sein du PDKI. Devenue peshmerga, elle dispense la préparation physique aux nouvelles recrues. La jeune femme est encore marquée par la mort de son père, abattu en Iran par des gardes-frontières alors qu’elle n’était qu’une enfant. Comme beaucoup d’habitants asphyxiés économiquement, ce dernier acheminait illégalement des dizaines de kilos de marchandises à la force du dos entre l’Iran et l’Irak. Un métier qui porte un nom, « Kolbar », et ses dizaines de victimes chaque année, tués par balles ou morts de froid. « Le régime s’est justifié en disant que mon père était un terroriste. Ce jour-là, je me suis promis d’honorer sa mémoire et de rejoindre les rangs des peshmergas. »

La nuit tombée, un groupe de combattants montent la garde le long du village. Sous la menace persistante du régime iranien, ils ont appris à vivre avec une menace diffuse mais persistante. Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, des dizaines de membres du PDKI ont été abattus mystérieusement hors des frontières nationales. Ce fut le cas de deux leaders historiques du parti, tués à Vienne et à Berlin en 1989 et 1992, mais également en août dernier d’une figure historique du PDKI dans un hôtel d’Erbil. Conséquence, les membres du parti tâchent de se faire discrets dans leur vie quotidienne.




Depuis le début du soulèvement en Iran lié à la mort de Mahsa Amini, les bases du parti sont désertes. Le 28 septembre dernier, une pluie de missiles balistiques en provenance d’Iran éventraient le quartier général du PDKI. Quatorze personnes, dont une femme enceinte, ont perdu la vie.

Les membres du PDKI vivent reclus dans les montagnes avoisinantes depuis la fin du mois de septembre, tâchant d’échapper aux tirs de drônes qui se sont multipliés. Ils expliquent éviter tout regroupement, afin de ne pas se mettre en danger.






Ehsan (à droite), tout juste 19 ans, est arrivé il y a quelques semaines d’Iran. Pudiquement, il dévoile les marques encore visibles de blessures sous son uniforme militaire de couleur ôcre. Il y a quelques semaines, le jeune homme manifestait avec ses proches. « On nous a tiré dessus, c’était un déluge de balles. J’ai pleuré de peur, j’ai cru que j’allais mourir », confie-t-il, encore marqué par ce moment. Avant de poursuivre : « Je ne pouvais pas aller à l’hôpital, c’était trop risqué, le régime m’aurait placé en détention. Ce sont des manifestants qui m’ont mis dans une maison et qui m’ont soigné. Dès que j’ai pu, je suis parti et j’ai traversé la frontière », explique-t-il.

Plusieurs dizaines de jeunes femmes, à peine majeures, sont arrivées au début du mois de septembre, juste avant la mort de Mahsa Amini. Elles ont échappé de peu à l’attaque du 28 septembre, mais également à celle du 14 novembre, où de nouveaux tirs de missiles ont atterri à quelques centaines de mètres d’elles. Elles ne semblent cependant pas effrayées par ce contexte pour le moins anxiogène, expliquant être venues « pour s’engager, pas pour se mettre à l’abri ».


En exil, elles expliquent avoir cessé de communiquer avec leurs proches, « afin de ne pas les mettre en danger ». Shkofa (deuxième en partant de la gauche), explique : « En réalité, personne n’a aucune idée des vrais bilans. Nous savons que les autorités interdisent aux gens de se rendre aux enterrements. Ils veulent tout étouffer, et que tout le monde rentre chez soi. » Si leur départ pour l’Irak revêt la forme d’un aller simple, toutes sont convaincues qu’elles rentreront sur leurs terres un jour, victorieuses.



Des rêves qui contrastent avec la réalité du terrain, et surtout avec l’obsession du régime iranien contre les organisations réfugiées en Irak. Un courroux qui s’explique facilement : alors que le régime est parvenu à éradiquer toute opposition sur son sol, la persistance de ces partis à ses frontières est vue comme une provocation, d’autant qu’ils ont joué un rôle actif en appelant à la grève générale au lendemain de la mort de Mahsa Amini.

En outre, la République islamique redoute que ces organisations ne servent de proxy à des puissances ennemies, les États-Unis en tête, qui auraient ainsi une opportunité de déstabiliser le régime sur sa frontière occidentale. En juin 2018, dans un contexte de tensions régionales importantes – marquées par le désengagement de Donald Trump de l’accord nucléaire –, le secrétaire général du PDKI s’était déplacé à Washington, répondant ainsi à une invitation américaine. En plus d’avoir rencontré divers membres du Congrès, Mustafa Hijri s’était entretenu avec le chef de la section iranienne au département d'État. Et si ces rencontres n’ont abouti à rien de concret, Téhéran semble s’être juré de venir à bout de cette opposition très remuante. En ce sens, les pressions exercées sur Bagdad ainsi que sur le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) afin que ces camps ne soient fermés se sont multipliées ces dernières semaines. Pour l’heure, les autorités kurdes d’Irak continuent de tenir tête à Téhéran ; mais, jusqu’à quand ?