Le 10 octobre dernier, les irakiens se réunissaient pour élire les 329 nouveaux députés du
Majlis al Nuwab, le parlement, lors d’élections législatives anticipées. Celles-ci furent
organisées par le gouvernement irakien afin de calmer la colère de la rue irakienne durant
les manifestations d’octobre 2019.

Parmi les sièges parlementaires à pourvoir, neuf sont attribués aux minorités selon la nouvelle loi électorale adoptée en novembre 2020. Le nouveau code survient après les manifestations d’octobre 2019, qui ont poussé l’ex-premier ministre Adel Abdul Mahdi à la démission avant qu’il ne soit remplacé par l’actuel premier ministre Mustapha Al-Kadhimi en mai 2020. Ce nouveau code, qui redéfinit entre autres les circonscriptions électorales, est un changement significatif du processus électoral irakien. Les minorités y ont notamment vu une chance de renforcer leur représentation au sein des institutions irakiennes.

De ces 9 sièges, la composante chrétienne a obtenu cinq places dans une seule circonscription pour tout l’Irak. Ces sièges ont été convoités par 35 candidats. Huit candidats se sont disputé le seul siège attribué aux Shabaks 1. La minorité Yézidie, quant à elle, ne s’est vue accorder qu’un seul siège parlementaire dans le gouvernorat de Ninive, où 6 candidats se le disputaient.

Pareillement, un seul siège était constitutionnellement réservé pour un des huit candidats de la minorité sabéenne 2 en lice à Bagdad alors que cette minorité existe dans d’autres régions du pays. Enfin, 9 candidats du gouvernorat de Wasit, dans le centre méridional de l’Irak ont concouru pour l’unique siège parlementaire accordé aux kurdes faylis.

Selon les résultats définitifs des élections, le taux de participation a atteint 44%. La commission électorale a en effet confirmé le 30 novembre dernier les résultats définitifs qui ont vu le triomphe du courant du leader chiite El Sadr, qui compte désormais 79 sièges au parlement, le plus grand groupe parlementaire, représentant à peine 22% des sièges du majlis al Nuwab. Avec 9 sièges, les minorités ne représentent pas 2,75% de l’hémicycle. Ce chiffre n’est non seulement pas représentatif du poids démographique des groupes qu’ils représentent mais dévoie le sens de la représentation démocratique des groupes minoritaires et donc ayant moins de poids politique dans le pays.

L’intervention des grands partis

Face à ces contraintes constitutionnelles et malgré les garanties officielles de représentation démocratique, les minorités irakiennes appréhendent également la mainmise des grands partis sur les neuf sièges parlementaires qui leur sont attribués. Selon des observateurs attentifs de la scène politique irakienne, les principaux partis Kurdes et Chiites soutiennent des candidats de ces composantes et incitent leurs partisans à voter pour eux afin de gagner un siège supplémentaire.

Ainsi, des partis représentants des minorités accusent le Parti Démocratique Kurde et la coalition chiite du Fatah (qui regroupe des partis proches de l’Iran) de financer le vote par des électeurs sous influence en vue de contrôler le quota des minorités au bénéfice des candidats dont ils sont proches. Dans un communiqué paru le 28 juillet dernier, le parti chrétien Abnaa Al-Nahrain a ainsi annoncé son retrait des élections législatives en dénonçant la militarisation de la scène irakienne et l’ingérence des grands partis politiques dans ses affaires.

Membre du comité exécutif du parti Ibnaa al Nahrain, Mr. Issam Nissan a de son côté déclaré que ce retrait des élections fait suite à la fin de non-recevoir de leurs exigences, notamment la demande de restreindre le vote pour les sièges des minorités à un collège électoral composé par les seuls membres de la communauté. Le parti a exprimé cette demande de plusieurs manières en manifestant notamment devant le parlement régional avant les élections.

M. Nissan soutient que les grands partis cooptent les sièges des minorités afin d’augmenter leur marge de manœuvre au sein du parlement, au détriment total de la représentativité de ces groupes minoritaires et vulnérables. “In fine, les quotas électoraux n’ont désormais plus aucun sens”, clame-t-il. Ce phénomène persiste, selon lui, au prétexte que l’Organisation des Nations Unis est opposée au vote restreint à des collèges électoraux (qui assurerait l’autonomie aux minorités dans l’élection de leurs représentants).

Contredisant cette théorie, le chef du mouvement de Babylone, Mr. Rayan Elkildani, souligne que la perte du monopôle des partis communautaires des minorités est dû au désengagement des électeurs envers ces partis traditionalistes qui ont échoué à préserver et à protéger les chrétiens par le passé. Leur marginalisation ne serait donc dû qu’à un vote sanction et non à un court-circuitage des élections par des acteurs extérieurs à la communauté.

Annulation des élections à l’étranger

Comme l’ont souligné plusieurs analystes politiques, le code électoral des dernières élections ne prévoit pas la participation des Irakiens de la diaspora. Cette décision a privé les minorités, très actives en dehors de l’Irak suite à leurs exils forcés, de leurs voix aux élections, ce qui a fortement impacté les résultats.

Selon des statistiques de l’église chaldéenne en Irak, les deux-tiers des chrétiens d’Irak ont dû s’exiler à l’étranger après avoir compté plus d’un million et demi d’individus avant 2003, soit l’année de l’intervention américaine en Irak et de la chute du régime baathiste. Parrallèlement, quelques cent mille yédzidis ont quitté l’Irak depuis 2014, après le génocide perpétré par Daech, selon les statistiques de la direction des affaires yézidies au Kurdistan d’Irak.

De son côté, la communauté Sabéenne est celle qui a connu le plus grand nombre de départs à l’étranger. Parmi les soixante quinze mille Sabéens-Mandéens à travers le monde, il existait entre trente mille et cinquante mille Irak, vivant autour des fleuves du Tigre et de l’Euphrate. Aujourd’hui, ce nombre a baissé à moins de quinze mille individus.

« La loi facilite les interventions »

Au-delà du vote étranger, la question de l’ingérence reste le principal obstacle à la représentation démocratique des minorités au parlement. Expert en questions de diversité culturelle et politique irakiennes, Mr. Saad Selloum soutient les propos de Issam Nissan. Selon lui, le nouveau code électoral n’a pas réglé la question des interventions extérieures aux communautés en accordant le droit de vote à tous les irakiens dans les circonscriptions électorales des minorités.

La minorité chrétienne n’a pas échappé à cette instrumentalisation de leurs sièges électoraux. Celle-ci est grandement facilitée par l’intervention de puissants partis politiques qui manipulent les résultats des élections. Pour Mmr. Nissan and Selloum, cette interférence des grands partis est illégale et les minorités devraient pouvoir gérer elles-mêmes leur avenir politique.

Depuis les atrocités commises ces dernières années par l’organisation Etat islamique en Irak ayant particulièrement visé les minorités religieuses, la question des communautés confessionnelles en Irak a désormais une dimension internationale. Ce regain d’attention et l’élan de sympathie envers ces groupes vulnérables pourraient toutefois jouer à leur avantage en rendant plus difficile l’ingérence extérieure dans leurs affaires à l’avenir.

Pour le journaliste Mohamed Bachir, membre de la minorité Chabak, les luttes politiques et sectaires ont participé du démantèlement de sa communauté. Il ajoute que le siège parlementaire prévu pour les Shabaks est devenu un objet de transactions entre les grandes forces politiques. Par effet ricochet, ce fait accompli a privé les Shabak de leurs droits et d’une réelle représentation démocratique. En effet, les représentants des minorités au parlement font tout pour satisfaire les exigences des forces politiques qui les soutiennent, au détriment des intérêts de leur communauté.

Selon Mr. Bachir, trois éléments provoquent des querelles au sein de la communauté Shabake en Irak : l’argent de la politique, la terre et le pouvoir. Un acteur a aujourd’hui la main sur ces trois sujets dans la plaine de Ninive: les milices irakiennes.

“Un régiment Shabak fait d’ailleurs parti de la force des Hashd al Shaabi ou Unités de Mobilisation Populaires, une force généralement considérée comme affiliée aux intérêts de l’Iran.”, explique Mr. Bachir. La milice shabake de la plaine de Ninive, connue sous l’appellation de Forces de la Plaine de Ninive, est connue pour les nombreuses exactions commises contre les autres groupes de la région, sans pour autant être la seule à avoir commis des crimes.

De son côté, le journaliste yézidi Dhiab Ghanem souligne l’existence, depuis 2003, de luttes entre le Parti Démocrate du Kurdistan et l’Union Patriotique du Kurdistan dans la région de Sinjar, un des fiefs électoraux des Yézidis.

Après l’attaque de Daech dans les régions yézidies en 2014 et la chute des systèmes militaires irakien et kurde, le vote électoral yézidi s’est considérablement fragmenté du fait des pressions politiques des acteurs locaux. Cela a engendré une dispersion au sein même de la communauté. La communauté yézidie a été d’autant plus fragmentée fin 2020 par l’ingérence flagrante du Parti Démocratique du Kurdistan dans l’élection du nouveau chef spirituel yézidi.

Des résultats en trompe l’oeil

Mr. Ghanem nous rappelle qu’il siège non pas un mais cinq yézidis au parlement irakien. Le siège du quota de la minorité a été obtenu par un représentant du parti Yézidi Taqqadum (ETP) proche du pouvoir central à Bagdad, alors que trois représentants du PDK et un représentant de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), sont eux aussi yézidis mais affiliés aux intérêts de leurs partis.

Du côté de la minorité chrétienne, le mouvement Al-Babiliyoun a mis la main sur 4 des 5 sièges prévus pour la communauté. Le cinquième siège a quant à lui été gagné par le candidat indépendant de la province d’Erbil, Mr. Farouk Hanna, soutenu par le parti communiste irakien du Kurdistan.

Parallèlement, le siège du quota des Sabéens a été décroché par le candidat indépendant de la circonscription de Bagdad, Mr Oussama Kareem Khalaf qui a rejoint par la suite le bloc populaire indépendant proche du mouvement de Tishreen.

Mr. Houssein Ali Merdan a quant à lui raflé le seul siège du quota des Kurdes Faylis. Alors que le siège des Chabaks a été gagné par le candidat indépendant Waad El Kadou, prochedu mouvement Fatah. Pour la première fois depuis des années, deux femmes de la communauté Kaka’i ont fait leur entrée au Parlement irakien: Najwa Hameed du Parti Démocratique du Kurdistan et Ahlem Ramadan de Ninive, membre de la coalition du Kurdistan. C’est la première fois depuis 2005 que les Kaka’is sont présents au Parlement.

Malgré un soulèvement populaire qui a vu le renversement d’un gouvernement corrompu et inefficace, malgré les nombreuses promesses de réformes et l’adoption d’un nouveau code électoral censé renforcer la représentation des nombreuses minorités du pays, il apparaît que ces efforts vers une représentation politique plus constitutive de la réalité sociétale du pays se heurtent aux calculs politiques à l’ancienne, où les plus grands s’affairent à manger les plus petits. En cooptant certains candidats issus des minorités, les partis traditionnels imposent un agenda lá oú est censée prévaloir la question communautaire. Ainsi, le risque est grand de voir les minorités culturelles de Mésopotamie, si nombreuses et historiquement constitutives de l’identité irakienne, sombrer sous le poids de la politique politicienne et s’empêtrer dans une subordination contraire à l’idée même de leur existence parlementaire.

ViaSaman Daoud