Le gouvernorat de Dhi Qar, qui affiche une population de plus de deux millions d’habitants, a enregistré près de 25 000 cas de coronavirus en un an, et plus de mille morts. Profondément affecté par la pandémie, Dhi Qar a souffert des nombreux effets secondaires liés à l’épidémie, notamment celles issues des mesures sanitaires mises en place par le gouvernement pour contrer la propagation du virus.

 Les effets du confinement sur la population sont significatifs à ce sujet. De manière générale, le confinement a révélé que l’exclusion sociale et les inégalités économiques ne devraient pas être sous estimées et qu’elles pouvaient même produire plus de dommages sur les individus que le virus lui-même. En ce sens, l’histoire de Ahmed Hassan est révélatrice de ce phénomène. 

Un jour normal, Ahmed débute sa journée de travail en nettoyant devant son salon de coiffure, avant de faire de même avec ses outils et les sièges de sa salle d’attente. Il classe ensuite son matériel de manière méticuleuse, sans oublier de désinfecter chaque pièce après le passage d’un client, tout en portant un masque du matin au soir. A la fin de sa journée, Ahmed désinfecte son salon à nouveau. 

Ce coiffeur de 48 ans, originaire de la Shatrah dans la province de Dhi Qar (360 km au sud de Baghdad) a toujours fait très attention aux mesures préventives depuis le début de l’épidémie de COVID-19 en mars 2020. Il y a un an, le pays décelait les tout premiers cas d’infection qui furent bientôt suivis de mesures préventives imposées par le gouvernement comme le couvre-feu des institutions et des entreprises mis à part les activités vitales pour la population comme l’alimentation et les centres de soin. 

Mais déjà avant le confinement et malgré toutes les mesures préventives qu’il prenait, Ahmed Hassan a été infecté par le Coronavirus. Ignorant qu’il était positif au virus, Hassan a continué à couper les cheveux de ses clients pour un moment. Il finit par se sentir affaibli pendant son service et s’est rendu à l’hôpital le plus proche où un test lui a révélé qu’il était positif au virus. Ses ennuis de santé précédents ont rendu sa convalescence d’autant plus difficile. 

Se remémorant les circonstances de cette histoire, Ahmed Hassan revient sur sa surprise au moment d’apprendre son état de santé: “Avec toutes les mesures que j’ai prises, j’étais vraiment choqué d’apprendre que j’étais infecté par le COVID-19. Mes difficultés respiratoires m’ont littéralement fait perdre conscience à un moment. Et je sais que j’ai propagé le virus à d’autres avant de ressentir les symptômes et d’avoir une confirmation que j’étais atteint”, explique-t-il. 

Ahmed Hassan a été placé dans une section de soins intensifs dans un hôpital d’al Nasiriyah, la capitale de la province pour plusieurs jours après que sa situation se soit détériorée. Après de longs jours de lutte contre la maladie, son état de santé a commencé à s’améliorer. “Malgré le fait que j’étais encore très faible, j’ai été évacué de ma chambre et on m’a enjoint de poursuivre ma quarantaine à la maison”, ajoute-t-il. 

Par la suite, son calvaire a continué pendant plusieurs jours avant qu’il ne puisse songer à reprendre une vie normale. “Il m’a fallu un mois entier de rétablissement avant de pouvoir retourner à mon salon de coiffure. Mais rien n’était plus comme avant. Toutes les personnes que je contactais, notamment mes anciens clients, avaient peur d’être infectées à mon contact. J’avais manipulé mes clients avec mes mains et il semble que je leur ai également propagé le virus. De plus, les gens évitaient les salons de coiffure de manière générale… J’étais presque sans emploi. Malgré mon rétablissement complet, mes clients habituels ne se sont pas représentés avant très longtemps” rapporte-t-il. 

Trois mois après son rétablissement, ses proches continuaient de l’éviter. Cette “situation de paria” l’a beaucoup affecté et a engendré des troubles psychologiques. Son salon de coiffure ne lui rapportait plus la moitié de ce qu’il gagnait auparavant.

vulnérabilités économiques

L’histoire d’Ahmed est significative de la stigmatisation à laquelle de nombreuses victimes du COVID-19 ont été sujettes durant l’épidémie en Irak. L’exclusion sociale est souvent synonyme d’exclusion économique. A ces préjugés s’ajoutent les mesures préventives imposées par le gouvernement qui ont d’autant plus impacté ces personnes vulnérables qui sont des centaines de milliers, rien que dans la province de Dhi Qar, comme les travailleurs journaliers et les petits commerçants. Durant le confinement, de nomreux travailleurs ont étés obligés de violer le couvre-feu pour gagner leur vie au risque de se voir infliger des amendes. En effet, pour ces travailleurs mal payés, c’était une question de survie. Rester chez eux n’était pas une option, surtout puisque le gouvernement n’a pas mis en place de mesures de soutien économique et social pour les sans-emplois. 

La vulnérabilité des travailleurs a également été exacerbée par les discrimination qu’ils ont parfois rencontré dans le cadre de leur travail. Ali, un employé de la même province a lui aussi raconté son expérience à The Red Line. “Après dix-sept jours de convalescence, j’ai informé mon employeur que je pouvais revenir travailler. Mais il m’a remercié en me disant qu’il ne pouvait pas me reprendre dans l’entreprise car mes collègues de travail avaient peur avaient peur que je propage le virus dans les locaux, voire que j’amène une mauvaise réputation à l’entreprise. J’ai répondu que j’avais eu un résultat négatif à mon test COVID, mais rien n’y a fait. 

Responsable de l’association des syndicats des travailleurs de la province Dhi Qar, monsieur Hisham al Ebaadi, nous explique que plus de 80% des travailleurs de la province ont souffert durant le confinement et beaucoup d’entre eux ont perdu leur emploi du fait du confinement ou suite à leur infection au COVID-19. Mr. al Ebaadi explique que de nombreuses entreprises privées ont dû mettre la clef sous la porte, privant des milliers de salariés de leurs revenus. Le ministre du Travail de l’époque, Mr. Adel Al Rikaby, a été prévenu à de multiples reprises de la situation. Notre organisation syndicale a prié le gouvernement d’intervenir pour alléger les souffrances des travailleurs durant cette période difficile. À ces demandes, le ministre nous a répondu personnellement. 

Mr. al Rikabyl a demandé aux syndicats de Dhi Qar de fournir la liste des travailleurs ayant perdu leur emploi à cause de l’épidémie de Coronavirus afin de les inclure sur les programmes de sécurité sociale pour chômeurs. Une liste de plus de 10 000 noms a donc été rédigée et soumise avec l’aide du bureau de la sécurité sociale et de quelques membres du parlement. Toutefois aucun de ces chômeurs n’a jusqu’à ce jour été compensé pour la perte de leur emploi jusqu’à aujourd’hui.

Mr. al Ebaadi ajoute que même si ces mesures avaient été mises en place, elle n’auraient pas apporté de solutions fiables et durables pour toutes les personnes qui ont été impactées par la crise du COVID-19. Le pays fait face à un crash économique et les retards dans l’attribution du budget d’État ont même rendu difficile le paiement des salaires publics. 

La mission de notre organisation syndicale est de résoudre les nombreuses tensions qui surgissent entre les employeurs et les salariés. Ces litiges sont généralement réglés rapidement, mais finissent parfois au tribunal. Depuis la crise du COVID-19, on a observé une augmentation du nombre de litiges entre les employeurs et les salariés tant dans le public que dans le privé, et les salariés gagnent d’ailleurs plus de litiges qu’à l’accoutumée. 

Monsieur Ali Hussain est un expert juridique. Il a livré à The Red Line son analyse sur les questions légales influant sur les garanties sociales des travailleurs. Selon lui, le Code du Travail irakien garantit de nombreux droits aux travailleurs et aux chômeurs bien que ces mesures ne soient pas correctement appliquées. “Le Code du Travail irakien dispose de près de 170 articles de lois déterminant la nature des contrats entre les employeurs et leurs salariés, notamment les droits et les obligations mutuels”. Malgré ces protections légales, des amendements législatifs sont encore nécessaires pour apporter une protection complète des travailleurs et lutter contre l’exploitation et la victimisation à l’avenir. 

Mr. Jabir ajoute que la pandémie a sensiblement impacté tous les secteurs de la société, causant des failles dans les contrats de travail. “Bien que ceci ait été prévisible et que cela arrive partout dans le monde, les travailleurs ne devraient pas se contenter de perdre leurs droits ou se voir rabaisser leurs salaires ou être virés du jour au lendemain sans compensations”, soutient-il. 

Plus encore, lorsque les travailleurs s’engagent dans une procédure judiciaire pour obtenir leurs droits, ils ne sont pas à égalité avec leurs employeurs à plusieurs niveaux. Il est en effet plus difficile pour un travailleur de couvrir les dépenses d’un procès, en particulier lorsqu’ils sont issus d’un milieu défavorisé et éloigné des centres urbains.

Mr. Jabir ajoute que les lois et le droit irakien n’apportent pas assez de protection aux travailleurs, en particulier ceux du secteur privé lorsque ceux-ci souffrent de maltraitance dans le cadre de leur travail. L’expert précise que l’Irak a cependant signé la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit des syndicats No. 87 de l’Organisation Internationale du Travail. Cette convention doit enjoindre le gouvernement irakien à voter des amendement dans les codes pénal et civil afin de protéger les travailleurs de manière adéquate en accord avec les engagements internationaux que le pays a ratifié. L’enjeu est de faire respecter les droits de la classe ouvrière en facilitant les procédures administratives et judiciaires. “Les amendements se font toujours attendre”, conclut-il.

Des problèmes de santé persistants

Au delà de la vulnérabilité économique, les effets psychologiques de la crise sont désastreux pour les irakiens. Le docteur Ibrahim al Saigh, qui dirige le département de santé mentale de l’hôpital de Dhi Qar révèle les effets préoccupants sur la santé mentale à l’échelle de toute la société. “Les cas d’isolation social et de souffrance émotionnelle ont été observés chez les patients guéris venus nous consulter. Les chiffres sont impressionnants”. Le docteur continue, expliquant que les patients guéris du COVID-19 se classent en deux catégories: les patients ayant déjà eu des troubles psychologiques par le passé avant infection au coronavirus, et dont la santé s’est d’autant plus aggravée, et les autres, qui étaient auparavant mentalement sains, mais qui ont manifesté des troubles obsessionnels compulsifs et de l’anxiété chronique suite à leur guérison”. 

Dr. al Saigh ajoute que ces cas de troubles mentaux post-guérison sont pris en charge par les thérapistes de son département. Selon lui, ils sont le résultat de la psychose sociale créée par les médias autour du virus, qui s’avère ne pas avoir été le montre destructeur qu’on prétendait. Contactée par The Red, Line, la sociologue Auday al Shibeeb, ajoute que l’épidémie a des implications importantes jusque dans les secteurs de l’éducation et des activités intellectuelles. “La psychose générée par le virus augmente les risques d’inclusion et la discrimination” soutient-elle. Les irakiens ont été forcés de se confiner de peur d’attraper le virus et c’est cette peur qui a engendré de la ségrégation même pour les patients guéris, jusque dans leurs cercles familiaux. 

Un autre impact du confinement est l’augmentation des cas de violence conjugale. Une source au sein des forces de sécurité opérant dans la province de Dhi Qar nous explique que son département a enregistré 1.054 cas de violences conjugales et note une augmentation du nombre de procédures judiciaires à ce sujet entre mai et novembre 2020. Mais selon la source, les incidents sont probablement deux fois plus nombreux car beaucoup ne sont pas enregistrés. Bien qu’il y ait de nombreuses raisons pour en venir à une procédure judiciaire, il est évident que personne ne mentionne que le virus y joue quoi que ce soit. Toutefois, la police qui enregistre les plaintes voit un lien direct entre les effets du confinement et la précarisation d’une partie de la société. “Beaucoup de ces problèmes sont réglés de manière consensuelle au sein du département de la police des moeurs avant d’arriver au tribunal” ajoute la source policière. 

Un taux de pauvreté en hausse

Le 21 Septembre 2020, le ministre du Plan, monsieur Khalid Battal al Najm a annoncé que le taux de pauvreté en Irak avait bondi de 30% du fait de la crise du COVID. Il mentionne alors que son ministère a élaboré un plan pour mettre un terme à cette hausse et qu’elle était exacerbée par l’effondrement économique dérivant de la pandémie. Dans son annonce, le ministre ajoute que ces conditions exceptionnelles ont poussé le gouvernement à établir un plan  social pour faire face à la crise actuelle  et alléger les conséquences sociales et économiques de la pandémie. 

Malgré tout l’argent et les projets mis en place par le gouvernement dans le gouvernorat de Dhi Qar afin d’améliorer la situation économique et sanitaire, celle-ci reste touchée par des taux exponentiels de chômage. Selon les données officielles de l’Etat, quelque 250 000 diplômés sont actuellement sans emploi dans la province, ce qui souligne la gravité de la crise ici. 

ViaAlaa Kolie