Un an après que l’épidémie de coronavirus a frappé l’Irak, les scènes de panique et de mort restent gravées dans les mémoires de tout le monde. Selon les chiffres avancés par le Ministère de la santé, il y a eu plus de 550 000 cas dont 485 000 guérisons et 12 000 décès. Au pire moment de la crise, les centres hospitaliers ont très vite été saturés, incapables de recevoir les patients ordinaires et durent trier les arrivants. Des mesures sanitaires ont également été mises en place, menant à la fermeture de la plupart des institutions publiques comme les universités, les écoles, les parcs, mais aussi les restaurants. Du fait de l’épidémie, les habitudes des Irakiens ont été sensiblement modifiées mais la situation est graduellement retournée à la normale suite à la levée des restrictions lorsque la crise s’est adoucie. Mais ce retour à la normale fut loin d’être complet.

La collaboration face au Covid 19

Aujourd’hui, depuis que les hôpitaux sont saturés, les halls du stade international Al Shaab reçoivent des patients atteints du COVID-19 en quarantaine au lieu de ses habituels athlètes. “Au total, plus de onze halls de ce stade ont été réquisitionnés pour la quarantaine en coordination avec le Ministère de la jeunesse et des sports. Les halls ont étés équipés avec le matériel médical nécessaire afin de palier aux besoin durant les pics d’épidémie quand les hôpitaux saturent” explique Mr. Hassanein Al-Mousawi, assistant directeur général du département de la santé al Rusafa dans l’est de Bagdad. Les locaux sportifs ont également reçu des fonds d’autres ministères. 

Monsieur Hussein Talib, directeur adjoint de la compagnie Oil Products Distribution a annoncé que le ministère du pétrole a pris plusieurs initiatives: “Afin de soutenir les efforts de lutte contre l’épidémie de Covid-19, notre ministère a financé l’installation d’équipement médical dans les halls du stade al Shaab”, a-t-il annoncé. Mr. Talib a ajouté que son ministère a alloué deux millions de dollars à chaque gouvernorat du sud de l’Irak (Bassorah, Dhi Qar et Maysan) ainsi que deux cent mille dollars pour les autres gouvernorats (en dehors des trois provinces de la région autonome du Kurdistan: Erbil, Duhok et Sulaymaniyah alors toujours en litige avec le gouvernement central). En plus de cela, Bagdad a débloqué un million de dollars pour soutenir ses institutions de santé, permettant de mieux équiper ses salles de quarantaine, une aide précieuse pour aider le corps médical à affronter l’épidémie. 

Malgré tous ces investissements, l’épidémie à son apogée avait complètement saturé les infrastructures sanitaires irakiennes qui tentèrent de soigner des centaines de milliers de patients en quelques mois. Ces institutions, déjà en piteux état du fait du manque d’entretien et de la corruption, ne purent empêcher de graves pénuries de médicaments et d’équipements. 

Alors que la peur d’une nouvelle vague de variants au virus ne submerge l’Irak, le gouvernement a repris l’initiative, imposant un couvre-feu total puis partiel ainsi qu’un nouvel arrêt des cours dans les universités et les écoles.. 

Selon le docteur Reda al Zuhairi, qui exerce dans un centre de quarantaine à Bagdad, le ministère de la santé a équipé ces centres pour faire face à une possible seconde vague. Par le passé, rappelle-t-il, les cinq kilomètres carrés de halls du complexe d’exposition ont été réquisitionnés pour réduire la pression sur les hôpitaux publics et pourraient l’être à nouveau. Cela permettra également aux autres départements de continuer à fonctionner de manière optimale pour fournir des services aux patients souffrant d’autres maladies tout en proposant un système d’accueil des cas suspects. Mr. al Zuhairi a expliqué que le centre d’exposition transformé en complexe médical a été équipé d’un laboratoire spécial pour faire des tests COVID-19 et dispose de logements pour les équipes médicales travaillant sur site. 

De son côté, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a lui aussi collaboré en mettant des dortoirs d’étudiants à la disposition du Comité de d’Intervention de Crise. Le CIC a été établi par le gouvernement pour faire face à la crise du coronavirus. Il est dirigé par le Premier ministre et inclut tous les ministères et les autorités publiques concernés pour faciliter la réponse gouvernementale durant la crise. Le docteur Anmar Al Ghafil, professeur à l’université de Dhi Qar, explique que la conversion des centaines de lits de dortoirs en centres de quarantaine a fortement augmenté la capacité des hôpitaux. Toutefois, a-t-il ajouté, cela a eu un impact négatif sur les étudiants, en particulier ceux venant étudier de provinces différentes et qui ont perdu leur chambre sur le campus universitaire. Le problème du logement des étudiants a finalement été réglé dès lors que les cours pour l’année 2020-2021 ont été dispensés en ligne. Les dortoirs ont depuis été libérés de leurs patients mais restent à disposition en cas de nouvelle vague épidémique. 

La capacité des hôpitaux augmente

Prenant la défense des institutions irakiennes de santé, le docteur Ahmed al Rudainy soutient que, malgré la crise financière, les hôpitaux sont parvenus à absorber l’afflux de cas positifs au Coronavirus et de fournir de l’oxygène, un équipement médical et les autres produits nécessaires pour traiter ces malades. Le docteur a ajouté que les institutions de santé irakiennes ont même profité de cette crise pour gagner une expérience médicale et augmenter leur capacité d’accueil de patients. 

En automne, le nombre de cas positifs au COVID-19 dans les hôpitaux n’excédait pas 8% du nombre de lits. Toutefois, lors du pic précédent, près de 98% de ces lits ont été mobilisés. Afin d’en augmenter la capacité, une coopération spéciale a vu le jour entre les hôpitaux et certaines institutions chiites de Kerbala. Celles-ci ont également fourni des bâtiments qui ont été transformés en centres pour quarantaine. 

Un corps médical exténué

Malgré toutes ces initiatives, la colère ne cesse de monter dans le corps médical irakien. Les docteurs et les employés du secteur de la santé ont manifesté ces derniers mois suite à une année épuisante au service de la lutte contre le COVID-19. Le docteur Mohammed Amer nous explique que les raisons de ces manifestations sont multiples, mais que les retard dans l’embauche des jeunes diplômés a mis le feu aux poudres. (Dans le système public irakien, l’État s’engage à embaucher tous les diplômés et à leur fournir un emploi, ce que le système économique irakien en crise ne parvient plus à faire, ndlr). Quelque 2,500 docteurs devaient venir gonfler les effectifs médicaux mais n’ont pas été embauchés par le ministère de la santé. Cela a accentué la pression sur les employés déjà en poste et au front face à l’épidémie de COVID-19. 

Contrairement aux autres professions, le personnel médical a été contraint de continuer à travailler à plein durant toute la durée de la pandémie. La Docteure Rana al Amiri nous explique que la législation irakienne limite normalement le nombre d’heures de travail à huit heures consécutives. “Mais le personnel médical a enchaîné les heures bien au-delà des 8 heures quotidiennes consécutives autorisées, travaillant parfois jusqu’à douze heures par jour, plusieurs jours par semaines. Ces journées de travail exténuantes n’ont jamais été prises en compte par le ministère de la Santé comme des heures de travail et ne sont pas répercutées sur les fiches de salaire.” 

Médecins agressés

Le stress et la colère causés par l’imperfection des institutions médicales ont également mené à des cas de violence contre le personnel médical. En l’absence d’agents de sécurité capables de faire respecter l’intégrité des soignants dans les hôpitaux, ces attaques ont perduré tout au long de la pandémie et ont eu un impact catastrophique sur le moral des employés. “Le manque de médicaments et de matériel a attisé la colère des familles des patients et cette colère a été dirigée vers les plus exposés: le personnel soignant”, explique le docteur Alaa Al-Mousawi. “Les familles ont tenu les médecins responsables du décès de leur proches bien que tout ceci soit au-delà de leur contrôle”, nous explique le docteur. 

Les médecins irakiens sont forcés de travailler dans des hôpitaux sous-équipés. Comme nous l’explique le docteur Wafa al Abbas: “avec l’accroissement de la pression et le manque de médicaments, ils sont souvent forcés de demander aux familles des patients d’aller eux-mêmes acheter les médicaments dans des pharmacies en dehors des hôpitaux”. Cette situation kafkaïenne explique en partie pourquoi le personnel médical a été pris à partie à la fois verbalement et physiquement. Ils sont les boucs émissaires rendus responsables de toutes les pénuries”, explique le docteur al Moussawi. 

Plusieurs médecins ont reçu des menaces de mort suite au décès de leurs patients en raison d’une infection au COVID-19. Lorsque le corps médical se défend en portant plainte, ils finissent souvent menacés par la tribu des agresseurs qui font pression pour que la plainte soit levée. Lors de leurs manifestations, les médecins ont demandé au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité tout en les enjoignant à faire appliquer la loi et respecter la justice s’ils venaient à être menacés à l’avenir. 

La forte pression et les menaces qui ont visé la communauté médicale en Irak est symptomatique des nombreux dysfonctionnements qui jalonnent les institutions irakiennes. Comme nous l’avons vu, la collaboration entre les différents départements publics a permis d’alléger le fardeau des hôpitaux lors du pic de la pandémie dans le pays en 2020, mais ce fut loin d’être suffisant. 

Pour parer à ces lacunes, les Irakiens ont souvent pris les choses en main en contournant l’État. Des dizaines d’initiatives locales ont vu le jour offrant une assistance humanitaire aux plus nécessiteux. Ces volontaires ont fourni de l’oxygène aux patients trop désœuvrés. “Beaucoup de familles ne peuvent pas se payer ces produits vitaux. L’oxygène par exemple n’est pas disponible en quantité suffisante alors les prix flambent. Et donc nous les fournissons, en particulier à ceux qui ont été mis en quarantaine chez eux”, explique Ahmed, un volontaire à Bagdad. 

Mortada al Khalil est un autre volontaire membre d’une équipe appelée “espoir de vie” constituée de 22 personnes . Il collecte des dons des familles fortunées pour acheter des paniers de nourritures et des cadeaux pour les familles les plus touchées par la crise du Coronavirus. 

Malgré toutes ces initiatives solidaires, les tragédies qui se sont produites en Irak durant les grandes vagues d’infection au COVID-19 sont vouées à se reproduire, en particulier si rien n’est fait pour restructurer les institutions et le ministère de la santé. La création d’un Comité d’Intervention de Crise qui se superpose aux différents secteurs du gouvernement concernés était une réaction positive et nécessaire. Elle s’est cependant avérée insuffisante, loin de pallier aux besoins au vu de l’étendue de la catastrophe. Alors que le monde semble se diriger vers une nouvelle vague d’infections notamment avec des variants du Covid, le gouvernement irakien va-t-il rester passif au lieu de protéger ses citoyens? 

ViaMohammed Al-Awad