Pendant que l’Irak se prépare à célébrer le triste anniversaire du premier cas de Covid dans le pays, les Irakiens vivent avec angoisse l’émergence d’une nouvelle vague de décès. Pour la plupart, le virus est perçu comme une menace, mais ce qui est encore plus perturbant pour les citoyens reste l’incapacité du gouvernement à gérer la pandémie. Le dysfonctionnement de l’État irakien a souvent suscité agitation et divisions. le Covid-19 a cependant mis en lumière quelques initiatives locales et autres mouvements de solidarité.

Depuis que la pandémie a mis l’Irak à genoux, Maheya Adam Yusef a supervisé la distribution de nourriture pour les familles pauvres ou dans le besoin dans le district de Qadisiyah, à Mossoul. “Dès que la pandémie s’est répandue et qu’un couvre-feu a été annoncé, j’ai commencé les distributions de portions de nourriture obtenues via des donateurs privés. Les plus nécessiteux sont souvent les femmes divorcées ou les femmes veuves et leurs enfants”, raconte cette femme de 55 ans, aussi appelée Umm Imad par les intimes.

Umm Imad n’appartient pas à la classe aisée, mais cette femme résiliente du quartier de Tahrir (Mossoul-Est) possède certainement plus que la majorité. A la fin de l’année 2017, elle décide de lancer un petit commerce, employant des veuves et des femmes divorcées après la libération de Mossoul des griffes de Daech. Une décision prise surtout après le meurtre de son fils Yaqeen assassiné par les terroristes. Une tragédie qui rappelle une autre vécue un peu plus tôt : “En 2006, mon autre fils Ameer s’est suicidé. A cette époque, Ameer ne m’écoutait plus et c’était pareil avec son père. Notre incapacité à le comprendre l’a poussé à s’immoler devant nos yeux. J’ai été traumatisée par le suicide de mon fils et j’ai essayé de vivre avec cette peine pendant des années. L’apparition de Daech et la mort de mon plus jeune fils Yaqeen m’ont de nouveau brisé. Mais j’ai refusé d’abdiquer.’’


Couvre feu 

C’est ainsi qu’Umm Imad a ouvert un petit restaurant où elle sert des plats typiques mossouliotes à emporter. Dans sa petite entreprise, 20 femmes de Mossoul travaillent à ses côtés et vivent dignement de cet emploi. Mais la pandémie de Covid-19 a mis à mal son activité de son business qui assurait un salaire de plus de 30 dollars par jour par employée. “Le projet a pris fin après le couvre-feu imposé le 17 mars 2020. A ce moment-là, beaucoup d’Irakiens ont arrêté de se rendre à leur travail et donc logiquement ont cessé de fréquenter les restaurants. Voilà pourquoi nous avons été contraintes de mettre la clé sous la porte.’’

Une fois au chômage, Umm Imad n’a donc pas cessé ses activités caritatives. Elle a commencé à lever des fonds pour des familles affectées économiquement par le virus. L’initiative était de collecter de l’argent et de la nourriture auprès de familles fortunées ou simplement généreuses. “Je sors de chez moi tôt le matin et rentre juste avant le coucher du soleil. Après des mois d’activité, je n’ai jamais vu le moindre acteur public venir en aide aux habitants de cette ville en deuil.”

Ninive sous le seuil de pauvreté

Avec le confinement et les autres restrictions économiques imposées un peu partout en Irak pour affaiblir les contaminations, la pauvreté et le chômage ont augmenté à grande vitesse dans la province de Ninive et sa capitale Mossoul. 

Avant même l’apparition du Covid-19 en Irak, les statistiques officielles du ministère irakien de la Planification montraient que plus de 112 000 vivaient sous le seuil de pauvreté dans la seule province de Ninive. Les effets du Covid-19 ont aggravé ces chiffres. Pour les plus démunis, seules de rares initiatives de solidarités locales leur sont venues en aide.

A travers le projet de Maheya Adam Yusef, de nombreuses familles pauvres ont pu subsister. C’est le cas d’Umm Noor, veuve après la mort de son mari dans la bataille de la libération de Mossoul et mère de six filles. “Le restaurant que tenait Maheya Adam Yusef nous permettait d’avoir un salaire. Sans cela, nous aurions été obligées de continuer à nous sevrer… Nous avons été habituées après la guerre contre Daech. Je me rappelle que nous étions obligées de jeûner. Nous ne pouvions nous offrir qu’un petit-déjeuner par jour.” Avec le Covid-19, Noor et ses enfants ont de nouveau pris la malheureuse routine de se priver et d’avoir faim. 

Maheya Adam Yusef n’est pas la seule Mossouliote à lutter contre la misère dans sa ville. L’activiste Sorour al-Hussein raconte comment des équipes de volontaires se sont formées pendant la crise et ont fourni des aides: “À ce moment-là, le gouvernement local s’est montré totalement inefficace et même indifférent quant à la situation critique que vivaient certaines familles pauvres. Face à cette nouvelle tragédie, nous avons de nouveau dû faire face ensemble.” 

“Parfois j’arrive à trouver des aides pour payer mon loyer et parfois le propriétaire accepte que je paye en retard car il est au courant de nos difficultés.” Son ancienne patronne Maheya Adam Yusef n’oublie pas ses anciennes employées. Noor raconte: “Dès qu’elle a des paniers de nourriture elle en met un de côté pour nous car elle connaît notre situation…”

Sorour s’est illustré en allant porter assistance aux familles de patients admis à l’hôpital. La jeune femme prenait le vélo pour ses déplacements pendant le couvre-feu. “Au début, les gens étaient surpris de me voir faire du vélo parce que je suis une femme et que je viens d’un milieu conservateur mais ils ont rapidement compris que j’étais là en tant que volontaire pour les aider et venir en aide aux docteurs qui traitaient les patients victimes du Covid.”

Aides publiques évaporées

Fatima et son fils ont survécu grâce à l’aide reçue d’équipe de bénévoles. Cette veuve a trois fils, dont le plus jeune présente une malformation de naissance qui nécessite des besoins spécifiques. “Mon mari a été tué pendant la bataille de libération de la ville à Mossoul. Il était membre des Hached al-Chaabi (Les Forces de Mobilisations populaires irakiennes). Nous n’avons jamais reçu la moindre pension ni même pour mon fils handicapé. Mon plus âgé travaillait à la station de bus et collectait l’argent des passagers, mais il ne touchait que 8 dollars par jour. Cela ne payait pas notre loyer mensuel, mais nous nous débrouillions…” Comme pour la majorité de petits employés précaires, le Covid-19 a mis au chômage le fils aîné de Fatima, Abd al-Rahman. Après cela, la famille de Fatima ne s’est mise à vivre que des aides octroyées par quelques bénévoles. 

Selon le ministre irakien de la Planification, Khaled Battal Najm, le virus a augmenté le taux de pauvreté dans tout l’Irak, atteignant 31,7% de la population. “Les répercussions de cette crise a ajouté 1,4 millions d’Irakiens sous le seuil de pauvreté, s’ajoutant aux 10 millions déjà existants. Nous allons atteindre 40 millions d’habitants en 2021…” 

Le gouvernement semble incapable de trouver des solutions tangibles pour ces familles fragilisées par la pandémie. Pourtant, au début de la crise, des promesses faites par le conseiller du gouvernement de transition, Mr. Abdul Hussein Hanin, annonçait le lancement d’une aide financière de 150 000 dinars (125 dollars) par mois et pour chaque citoyen.

Mais ce soutien financier n’a jamais vu le jour. Un effet d’annonce s’ajoutant à celui de l’ancien ministre de la Planification, Sabah al-Dulaimi, qui promettait une aide de 30 000 dinars (25 dollars) pour les 10 millions de citoyens vivant sous le seuil de pauvreté.

D’autres promesses et détails contradictoires sur les aides ont par la suite été annoncés, sans jamais être versées à aucune famille. Une piètre performance largement critiquée par la presse et les activistes dans le pays. Arrivé à son poste le 7 mai 2020, le nouveau ministre de la Planification, Khaled Battal Najm n’a pas rassuré les Irakiens en annonçant vouloir alléger les mesures sanitaires pour stimuler l’économie.

“Les conséquences désastreuses de la pauvreté et l’incapacité de l’État à pouvoir assurer des aides financières pourraient pousser le gouvernement à lever le couvre-feu de manière permanente et ainsi revenir à une vie normale pour éviter une crise économique de grande ampleur.” Une décision ambivalente cependant car elle menace de contaminations des milliers d’Irakiens. 

Équipes de bénévoles

Aux premières étapes de la crise, les gouvernements ont failli, ce qui a poussé de nombreux citoyens à s’organiser et trouver des solutions collectives par eux-mêmes. Mustafa al-Shaer est activiste et fondateur d’une équipe de volontaires.

A travers ses activités, il a été confronté à la misère et la détresse de nombreux de ses concitoyens frappés par la pandémie. “On a été témoin d’une nette augmentation de la pauvreté. Beaucoup ne peuvent plus subvenir à leurs besoins quotidiens, surtout les travailleurs journaliers dont les offres d’emploi ont disparu ou ont été réduites avec le couvre-feu.”

Al-Shaer ajoute : “On a formé une équipe, en plus des douzaines de groupes de volontaires, pour distribuer des paniers repas dans les zones pauvres de la capitale.” Son équipe communiquait aussi sur les réseaux sociaux pour trouver les familles dans le besoin. Un travail noble, mais frustrant pour l’activiste qui se dit triste de n’avoir pu aider plus de familles. 

“Certains ont vu leur vie devenir un enfer à cause de cette pandémie. Mais nous avons fait du mieux que nous avons pu pour venir en aide aux gens, tout en respectant et protégeant leur dignité en ne les filmant pas.” En Irak, être vu en train de mendier peut vous stigmatiser vous et votre famille. Ce n’est pas accepté culturellement. 

Les besoins en nourriture n’ont pas été les seuls dans la capitale. Les médicaments et bouteilles d’oxygène ont également été distribués par quelques groupes de volontaires alors que certains hôpitaux, dont les capacités d’admissions étaient saturées, manquaient de produits de première nécessité. 

L’un des groupes les plus importants, la Tanafus Team, gérée par Anmar Ali, s’est occupée des zones de Shuala er Rahmaniyah. “Nous avions observé le manque de bouteilles d’oxygène dans Bagdad et certains propriétaires de pharmacie ont commencé à faire augmenter leurs prix et même spéculer autour de ce business. C’est ce qui nous a motivés à former cette équipe”. La Tanafus Team vient en aide aux patients et leur délivre toute l’aide matérielle possible jusqu’à leur guérison. La Breathing team, autre groupe d’activisites, fait des tours de ville, se séparant en plus petites cellules, pour avertir et toucher le plus de familles dans le besoin.

La crise continue 

Alors qu’un nouveau confinement a été imposé à travers le pays suite à la recrudescence des infections, la pression s’accentue sur le ministère de la Santé. Par ailleurs, le chef parlementaire du comité pour l’environnement et la santé, Mr. Qutaiba al-Joubouri, annonçait en octobre dernier que le gouvernement irakien était en train d’essayer “d’éviter un niveau de contaminations critique comme dans les pays voisins alors qu’une troisième vague frappe en ce moment même le pays.”

Plus tard, Al-Joubouri pressait le comité d’allouer un budget suffisant pour limiter les contaminations. Malgré les difficultés financières du pays. Le ministère de la Santé a également mis en place une stratégie médicale qui mérite d’être reconnue, spécialement à la lumière des faiblesses des infrastructures médicales.

Enfin, Mr. Al-Joubouri a aussi annoncé de nouvelles mesures pour faire face à la crise à venir. Celles-ci incluent notamment l’ajout de 12 000 lits dans l’ensemble des hôpitaux publics irakiens, l’achat de 4000 respirateurs artificiels, une capacité de 30 000 tests quotidiens aidés par l’ouverture de 60 laboratoires spécialisés. Sans oublier l’augmentation de machines à imagerie qui aideraient à augmenter les diagnostics. L’homme est par ailleurs revenu sur les statistiques de mortalité de mars à novembre 2020.

“Le taux de guérison est de 88% et le taux de mortalité est très bas, atteignant 2,2%, alors que près de 10% des patients ne sont pas encore guéris (les chiffres incluent la région du Kurdistan). Tout ceci est un immense accomplissement si on compare avec la situation des pays développés.” soutient Mr. al Jubboury.

Le comité continue de soutenir la suspension des cours à l’école, la réduisant à seulement une journée de classe par semaine avec 50% des effectifs habituels. “Par ailleurs, les équipes enseignantes seront soumises à des examens médicaux réguliers pour leur sécurité”, a ajouté le chef du comité parlementaire. 

Des solutions remises à plus tard

Le Covid-19 continue de se répandre dans le pays et cela sera le cas jusqu’à l’arrivée du vaccin. Par ailleurs, l’État irakien s’accroche à l’idée qu’un couvre-feu pourra résoudre les maux de cette crise.

Ce couvre-feu a été allégé à cause de la crise économique qui a suivi son instauration. De plus, l’État irakien a été incapable de fournir une aide financière aux citoyens ayant perdu leur emploi et se trouvant devant l’incapacité de se nourrir quotidiennement. Dans le même temps, le ministère de la Planification n’a pas agi, laissant une population se débrouiller avec ses propres moyens et ne faisant qu’estimer les nouveaux taux de pauvreté.

Les contaminations ne cessant de grimper, le ministère de la Santé a annoncé une mesure provisoire de réduction de 50% du temps de travail des fonctionnaires. Plus que jamais, l’Irak semble coincé entre deux crises, l’une sanitaire et l’autre économique. Si l’une se résout, l’autre se détériore. La crise économique est si forte en Irak qu’elle commence à affecter les fonctionnaires. 

Le déficit budgétaire du gouvernement a rendu les autorités incapables de payer les salaires de ses travailleurs publics. Le premier ministre Mustafa al-Kadhimi a aussi déclaré que le déficit économique pourrait engendrer des coupures de salaires dans les mois à venir. Les effets de cette pandémie ont été aggravé par une crise des institutions étatiques elles-mêmes et par un manque de mesures efficaces prises au bon moment. Dans le monde, de nombreux pays ont intelligemment géré cette crise, l’Irak n’en fait pas partie. 

ViaZainab al-Mashat