À cause des nombreuses opérations qu’il a subi, Dhiaa Abdullah a encore du mal à s’exprimer clairement. Le jeune homme a dû se rendre en Inde pour recevoir un traitement adéquat suite au développement d’une tumeur dans son cerveau que des médecins oncologistes irakiens avaient repéré. lls lui ont recommandé de faire une opération à l’étranger car ils ne disposent pas de l’équipement nécessaire pour mener une telle opération en Irak. 

Dhiaa a été défiguré de manière permanente à cause de la chimiothérapie qu’il a entrepris. “Depuis sept ans, Dhiaa lutte contre le cancer et endure les pires souffrances et nous devons faire face à des lacunes en termes d’équipement et de médicaments” explique le père de Dhiaa. “Mais la crise du COVID-19 a rendu cela encore plus difficile car elle a paralysé le pays et les hôpitaux. L’hôpital où Dhiaa est traité a été particulièrement affecté par l’épidémie du coronavirus”, avance-t-il. Du fait de la pénurie dans les hôpitaux, les patients irakiens sont forcés de se procurer eux-mêmes les médicaments pour leur traitement, souvent dans des pharmacies privées ou sur le marché noir, où les produits sont très couteux. 

Le 24 février 2020, le premier cas de COVID-19 est enregistré dans la ville de Najaf, où des étudiants religieux iraniens sont testés positifs et qui sont rapidement suivis de nouveaux cas. À Bassora, alors que le nombre de cas augmentait drastiquement, le gouvernement local a imposé plusieurs mesures dont un couvre-feu partiel et total selon les périodes. Il s’est prolongé jusqu’à la fin octobre 2020.

Des mesures additionnelles ont par la suite été imposées par le Comité de d’Intervention de Crise. Ce comité gouvernemental a été mis en place pour faire face à la crise du COVID-19. Les mesures de confinement qu’il a imposées ont privé des centaines d’irakiens de leurs emplois en fermant les lieux de travail comme les écoles, les universités, les marchés et les parcs. Les déplacements entre les villes ont également étés interdits sauf pour motifs impérieux. Enfin, la crise économique en Irak a été d’autant exacerbée par la chute des prix du pétrole dont dépend l’État irakien pour son financement. Toutes ces mesures ont créé une situation dramatique pour les classes les plus vulnérables de la société irakienne. 

trop cher à l’étranger, absent au pays, 

La souffrance et les angoisses des familles des patients se sont considérablement approfondies durant la pandémie. Les dépenses en soins déjà phénoménales sont subitement devenues impossibles à faire. Toutes les deux semaines, Abd al Hussein Azhar devait amener son fils cancéreux à l’hôpital pour enfant de Bassorah pour une séance de chimiothérapie. Selon Mr. Azhar, les docteurs étaient obligés de demander des médicaments et de l’équipement à l’étranger du fait du manque de financement du gouvernement. Les docteurs ne peuvent pas traiter toutes les maladies et n’ont souvent pas d’autres choix que d’envoyer leurs patients faire des opérations dans d’autres pays, en particulier les enfants atteints de maladies graves comme le cancer du cerveau ou de la moelle épinière. “C’est tout simplement hors de prix”, admet Monsieur Azhar, dépité. 

Autre parent affecté, Nidal Moussa nous raconte que son fils souffre d’une tumeur dans la vessie. Se confiant, elle nous explique qu’elle a frappé à toutes les portes d’hôpitaux possibles, sans succès. Selon elle, la plupart des scanners du département de radiographie de Bassorah ne fonctionnent plus. Ses tentatives d’obtenir des scans d’autres hôpitaux publics se sont soldées par des échecs et elle a été renvoyée à son hôpital de départ. Madame Moussa a ajouté que les scans ne peuvent pas être faits dans des hôpitaux privés car ils sont hors de prix. 

Beaucoup de patients de l’hôpital pour enfants atteints de cancer doivent entreprendre une chimiothérapie généralement hors de prix hors des hôpitaux publics. C’est le cas d’Athraa, une patiente venue avec sa mère à l’hôpital pour un traitement spécial. Les pénuries au sein de l’hôpital ont amené d’importantes complications à sa maladie. “L’épidémie de COVID-19 a causé d’importantes pénuries de médicaments et les enfants comme moi en ont beaucoup souffert. Par ricochet, cela a eu un effet sur ma santé psychologique et sur l’efficacité de mon traitement” nous explique Athraa. 

Faillite gouvernementale

Umm Ali est une sexagénaire originaire de la province de Dhi Qar. Chaque semaine, elle doit payer le transport à sa fille pour qu’elle se rende à Bassorah pour son traitement. Selon elle, le personnel de l’hôpital est négligent et n’a pas pris soin de sa fille: “Ma fille a besoin d’un traitement spécial, comme tous les enfants touchés par le cancer. Il nous faudrait un hôpital dans notre province, à al Nasiriyeh. Ca éviterait tous ces déplacements qui coûtent cher”, se confie-t-elle. 

Umm ali nous a aussi retracé cette “nuit tragique”, comme elle l’a nommée, durant laquelle le personnel médical l’a informée que l’hôpital était à court du traitement dont sa fille avait besoin. “C’était tragique et extrêmement stressant de voir ma fille souffrir ainsi pendant que les infirmières couraient dans tous les sens à la recherche d’une dose de médicaments supplémentaires”, se souvient-elle. Ce qui est arrivé à Umm ali n’est pas un cas isolé. Beaucoup de patients ainsi que leurs proches originaires de la région de Bassorah ont relaté des histoires similaires à The Red Line. La faillite systémique des institutions sanitaires irakiennes est la conséquence du manque de financement alloué par le budget d’État au secteur de la santé, en comparaison de ce qui est alloué, par exemple au ministère de la défense. Pour l’année 2021, l’État irakien a alloué 2,6 milliards de dollars à la santé, soit seulement 161 dollars par habitant pour une moyenne de plus de 1000 dollars investi dans la santé par habitant dans le monde. 

La ville de Bassorah souffre également d’un manque de personnel qualifié. La crise du coronavirus a aggravé ces carences en mobilisant d’autant plus les équipes pour gérer l’épidémie. Des milliers de diplômés attendaient de se voir délivrer un contrat de travail pour combler ce manque, or le ministère de la santé ne les a jamais recrutés. 

Les enfants sont les plus touchés

L’hôpital pour enfants de Bassorah contient 120 lits dont la moitié sont à la disposition des patients présents pour une opération chirurgicale, des soins intensifs ou une consultation. Mr Ali el Eidani, ancien directeur de l’hôpital, nous explique que le personnel médical n’est en mesure de couvrir que 40 % des besoins de l’hôpital. “Il y a un manque chronique d’infirmiers et de spécialistes en oncologie comparé au nombre de patients dans le besoin” soutient-il. 

Monsieur Al-Eidani explique qu’un nombre important de patients sont les victimes collatérales des guerres successives ainsi que de la pollution liée aux industries pétrolières et pétrochimiques présentes dans la région de Bassorah. “Environ 60 % des enfants traités dans l’hôpital guérissent, alors que pour trois pour cent d’entre eux sont incurables.

“La crise n’est pas spécifique à Bassorah, mais bien à tout le pays, dû au fait que le ministère de la santé ne valide pas et ne fournit pas assez de de médicaments aux hôpitaux publics” avance Sadiq Hassan, le directeur assistant de l’hôpital pour enfants cancéreux de Bassorah. 

Selon Mahdi al Tamimi, responsable du bureau du Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme de Bassorah, quelque cinq pour cent des cas de cancer dans la province touchent les enfants, contre 0.5 à 1% en moyenne dans le reste du monde. Monsieur al Tamimi a envoyé un communiqué aux autorités exécutives et législatives irakiennes les enjoignant à se pencher sur les problèmes de cancer dans la région. “Faites attention à l’explosion des cas de cancer, veillez à ce que l’Irak respecte ses engagements et appliquez le droit pour améliorer les conditions de traitement des enfants de la région” disait en somme le communiqué. À force d’insister auprès du ministère de la santé irakien, le Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme finit par obtenir gain de cause auprès du gouvernement qui vote enfin l’allocation d’un budget spécial pour l’hôpital des enfants cancéreux. Toutefois, ces fonds n’ont pas étés déboursés jusqu’à ce jour, déplore monsieur Tamimi. 

Comme l’explique la militante de la société civile Safaa al Dahi, les problèmes sécuritaires et sanitaires en Irak ont empêché de nombreux enfants de rejoindre les hôpitaux pour suivre leurs séances thérapeutiques. “La contestation qui a ébranlé le pays à partir d’octobre 2019 a engendré de nombreux blocages d’axes routiers, puis vint le COVID-19 en février 2020. Tout cela a compliqué l’accès aux soins et aux traitements pour nombre de patients”, explique-t-elle.

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Selon monsieur Ali Yousef, le responsable de l’information auprès du bureau du gouvernorat de Bassorah, le gouvernement local a tenté de trouver les fonds nécessaires pour couvrir les coûts en médecine et en équipements de la région. “Le gouvernement a effectivement soutenu l’hôpital spécialisé pour enfants cancéreux de la ville avec des fonds et des équipements. Mais ces efforts ont été en partie gâchés par les problèmes sécuritaires et la situation sanitaire générale qui a affecté toutes les institutions d’État, pas seulement les hôpitaux”, a-t-il affirmé.

Cimetières pour tanks et vestiges de guerre

Alors que de nombreux facteurs peuvent expliquer les taux de cancers démesurés en Irak, certains d’entre eux sont encore bien visibles dans le désert de la province de Bassorah. Les terres arides du désert occidental sont encore jonchées de nombreux véhicules militaires du régime baasiste qui furent bombardés durant la guerre du Golfe par les forces de la  coalition internationale qui employa des armes composées d’uranium appauvri. L’effet de la pollution à l’uranium appauvri sur la santé des irakiens est important, comme le montrent la courbe des taux de cancer avant et juste après la guerre du golfe. 

Selon une source médicale s’exprimant sous sous couvert d’anonymat, des tonnes de débris de métaux radioactifs issus des équipement de l’armée irakienne sont toujours exploités par des ferrailleurs”. Par ailleurs, les niveaux de radiation sur ces équipements varient, mais ils sont tous au-dessus de la normale”.

Selon cette même source, La région regorge de sites contaminés comme Jebel Sanam, proche de la frontière avec le Koweït et l’Arabie Saoudite à l’ouest de Bassorah. Un autre site du nom de Greshan est situé dans le cœur de Bassorah. Si la plupart des équipements contaminés ont été retirés des zones urbaines, la radioactivité perdure encore dans les sols de ces zones habitées et devraient être acheminées dans des sites spéciaux sous la supervision du ministère de l’environnement. 

La tâche énorme de nettoyage des résidus pollués issus de la guerre du Golfe est un enjeu capital pour l’Irak. Sans un traitement adéquat et un nettoyage total des zones habitées, ces déchets radioactifs continueront de causer des maladies graves au sein de la société. 

Le pétrole meurtrier

En sus des déchets radioactifs, les industries pétrolières ont également un effet dévastateur sur la santé des Basrawis. Les torchères du puits de pétrole géant de Nahran peuvent être aperçues depuis la ville de Bassorah. Bien que ces industries de production et de raffinement du pétrole soient une source de revenu non négligeable pour la province, elles tuent aussi en silence. Cela nous est confirmé par Adnan Hussein, le responsable du district d’al Dair. Il avance que de nombreux décès dans la zone liés aux émanations de gaz et de fumées polluants issus de ces champs pétrolifères. 

Mr. Hussein explique qu’il a contacté le bureau du gouvernorat ainsi que la compagnie Basra Oil Company, les enjoignant à trouver des solutions aux problèmes d’émission de gaz nocifs afin de protéger la santé des habitants. À ce jour, le gouvernement n’a pris aucune mesure concrète pour protéger la population de cette pollution. 

Le directeur du département de la protection environnemental de la zone sud de l’Irak, Mr. Walid al Moussawi, nous confirme que les générations futures sont menacées par toute cette pollution jusque dans les villes. Selon les statistiques de son département, plus de deux milles cas de cancer sont enregistrés chaque année rien que dans Bassorah. Bassorah est la première province exportatrice de pétrole d’Irak, acheminant autour de 2.5 millions de barils par jour vers le monde depuis ses ports . 

La situation des enfants atteints de cancer à Bassorah est très préoccupante. Leur destin tragique est le fruit de l’histoire récente de l’Irak, mais surtout de l’incapacité du gouvernement à leur fournir l’assistance la plus élémentaire. Les négligences accumulées du gouvernement ont d’autant plus exacerbé la crise du coronavirus, qui a elle-même révélé à quel point l’Etat irakien était dysfonctionnel.

ViaMishaal Hashim

Amer al-Sheibani