Dans la province d’al-Anbar, les électeurs, répartis sur les 380 centres de vote de la province, étaient attendus pour élire 15 parlementaires, dans quatre circonscriptions. Le remaniement des districts électoraux causé par la mise en place du nouveau codé électoral a divisé la province occidentale de l’Irak en quatre zones, au lieu de l’entité unique précédente. Cette évolution devait permettre à des candidats locaux de faire surface et de concurrencer les poids lourds locaux de la politique.

Al-Anbar et les élections

Dans la province d’al-Anbar, les électeurs, répartis sur les 380 centres de vote de la province, étaient attendus pour élire 15 parlementaires, dans quatre circonscriptions. Le remaniement des districts électoraux causé par la mise en place du nouveau codé électoral a divisé la province occidentale de l’Irak en quatre zones, au lieu de l’entité unique précédente. Cette évolution devait permettre à des candidats locaux de faire surface et de concurrencer les poids lourds locaux de la politique.

Logiquement, les élections législatives tenues le 10 octobre dernier ont engendré une sérieuse concurrence entre plusieurs candidats issus des tribus de la province. Des pourparlers ont eu lieu, même après la déclaration de résultats entachés de soupçons de fraude, pour finaliser le choix des élus. 

D’après la commission électorale irakienne, 166 candidats se sont disputés les sièges parlementaires d’al-Anbar. Quant aux habitants de la province, ils ont régulièrement exprimé leur crainte de voir « l’argent de la politique » influer sur les résultats électoraux. 

Aujourd’hui, al-Anbar reste fortement influencée par les acteurs traditionnels, incarnés notamment par le parti du Progrès (al-Taqqadum, mené par le chef du parlement Mohammed al-Halboussi), qui a finalement dominé le scrutin dans les quatre districts de la province. Mr. al-Halboussi a notamment su s’appuyer sur le vote sunnite et les allégeances tribales pour rallier les électeurs à sa cause dans sa province d’origine. 

Dans la province d’al-Anbar, le principal concurrent du chef du parlement est le cheikh Fayçal al-Chouka, (un notable du clan al-Dhiab de la tribu Dhalim), candidat de la coalition « Azm » (Détermination) aux législatives. Ce dernier a détaillé à The Red Line son analyse des enjeux politiques de sa province:  

« Chaque entité politique à son public et son réservoir de voix électorales. Les tribus dans al-Anbar ont un rôle prépondérant dans les élections puisque la province est composée d’un tissu clanique et de tribus. Le gouvernement local de la province a également utilisé l’argent public dans sa campagne électorale, en finançant de grands projets aux notables des tribus. […] L’argent de la politique a donc une influence néfaste sur le cours des élections surtout au détriment des candidats qui n’appartiennent pas au parti dominant la province [le parti al-Taqaddum] ».

Toutefois, selon le sheykh, la plupart des candidats indépendants ont pu s’organiser grâce au soutien de leurs propres tribus et de celui des citoyens dont ils ont la confiance… Sans parvenir pour autant à détrôner le poids lourd local et chef du parlement. Il souligne également l’appréhension des citoyens de la province envers la fraude électorale. Lors des élections de 2018 elle s’exprimait de manière à peine déguisée face au silence complice du gouvernement. 

Lutte de leadership

Les coalitions politiques de la province d’al-Anbar, majoritairement sunnites, sont celles qui ont connu le plus de divergences et de luttes de leadership depuis 2018 dans le pays. Lors de ces escarmouches, les insultes et les accusations sont légion. Alors que les villes de l’ouest irakien demeurent toujours ravagées et de grandes zones géographiques sont encore vides de leurs populations, les forces sunnites se disputent férocement les postes et les attributs du pouvoir dans le cadre du système de quotas où le premier ministre est désigné parmi les Chiites et le président de la république est issu de la communauté Kurde.

Dans ce contexte, la lutte électorale sert d’arène où s’expriment les rancunes personnelles entre les leaders politiques. À plusieurs reprises, les insultes ont fusé sur les réseaux sociaux des personnalités politiques. Pourtant, il semble que les deux parties (le parti al-Taqqadum et le parti al-Azm) ont laissé de côté leurs différends personnels privilégiant les intérêts de leurs compositions politiques. Selon une source bien informée, qui a refusé de divulguer son identité, Mmr al-Halboussi et al-Khanjar se sont rencontrés peu avant les élections en vue de trouver un accord politique qui ramènerait le leader du mouvement al-Taqqadum vers la présidence du parlement irakien une seconde fois. En contrepartie, celui-ci assurerait quelques ministères au profit du parti al-Azm.

Les tribus et la politique

D’un point de vue partisan, contrairement aux idées répandues, les partis politiques dans la province d’al-Anbar n’ont pas la même influence que dans les autres provinces car elle s’efface au profit des liens tribaux. Les tribus continuent de jouer un rôle prépondérant, mais pas nécessairement néfaste vis-à-vis du reste de la société.

En ce sens, Mr. al-Chouka estime qu’on n’aurait pas retrouvé la sécurité dans la région sans elles. Selon lui, ce sont les enfants des tribus qui ont résisté en premier aux organisations terroristes et ont pu récupérer leur province de leurs propres mains lors des batailles sanglantes qui ont émaillé la province et le reste du pays ces dernières années. Il ajoute toutefois que les tribus peuvent donc s’ingérer dans les affaires politiques de la région puisqu’elles se considèrent comme garantes de sa sécurité, de l’ordre et de sa stabilité politique. 

De son côté, le Dr. Moâyed al-Dlimi, pense que l’actuel code électoral a minoré le rôle des tribus puisque la multiplication des circonscriptions électorales a participé à la dispersion des voix. Les voix des tribus, étendues sur un territoire vaste, ne sont plus aussi efficaces. Les coalitions étant désormais basées sur des logiques géographiques plutôt que tribales. La réduction des surfaces de districts a donc permis l’émergence de candidats nouveaux, ce qui était le but de la réforme. Bien que l’objectif de la réforme ne soit pas palpable dès aujourd’hui, la dynamique démocratique semble en marche en Irak, au vu des scores impressionnants réalisés par les candidats indépendants, notamment ceux issus du mouvement Tishreen (le mouvement de contestation de 2019). 

Le regard des médias

Du point de vue des journalistes ayant suivi les élections irakiennes, l’idée que les tribus irakiennes ont joué un rôle prépondérant sur la scène politique mais aussi sur les plans social et sécuritaire fait l’unanimité. Selon eux, même si l’allégeance à la tribu est une qualité, le choix des candidats devrait se faire sur la base de critères objectifs. Le journaliste Dhiaa al-Hamdani explique que le citoyen d’al-Anbar a perdu confiance en l’État, raison pour laquelle il se tourne toujours vers la tribu lors des votes. 

Dans sa déclaration au site « Darj », Mr. al-Hamidani estime pourtant que l’allégeance totale à la tribu est un obstacle pour la construction de l‘Etat moderne: c’est-à-dire un État qui doit être établi sur les valeurs de la citoyenneté et de l’identité nationale. Il considère également qu’il est du ressort du gouvernement d’établir des liens de confiance entre l’État et le citoyen en répandant les principes de justice et d’équité. 

Le professeur en journalisme à l’université d’al-Anbar, Raâd al-Kachaâ, quant à lui, affirme que la domination des considérations tribales durant les élections est une conséquence de la nature même de la société de la province. Celle-ci est régie par la coutume et les normes de la tribu. Parallèlement, cela affaiblit depuis toujours l’autorité de l’État et de la loi dans la province. 

L’argent de la politique contre le soutien de la tribu

Dans la province d’al-Anbar, tous les moyens sont bons pour avoir le soutien des tribus. Tandis que les citoyens de la province se rendent bien compte que les leaders des coalitions al-Azm et al-Takkadoum pactisent allègrement avec les factions pro-iraniennes et les partis au pouvoir, servant par là même de « vitrine politique », ils sont conscients que l’argent est un facteur prépondérant qui détermine les décisions des tribus et non pas les affinités confessionnelles ou communautaires. 

Dans ces élections, la balance penche toujours du côté des candidats des grands partis politiques soutenus par des personnalités importantes, comme c’est le cas des candidats de al-Azm et al-Takkadoum qui ont raflé la majorité des sièges parlementaires. Le gouverneur de la province, Mr. Ali Farhan a lui-même financé les campagnes électorales de plusieurs candidats avec de l’argent public. Cela est rendu possible par l’absence de législation et d’organes de surveillance supervisant la provenance des financements des campagnes électorales. 

Au vu des résultats des élections de 2021 dans la province, la tribu a bel et bien triomphé de nouveau. Les partis politiques, ont eux aussi gagné dans le jeu de récupération des élus grâce à l’argent et l’influence politique. Ce statu quo bien commode pour les puissances politiques et tribales, leur permet de perpétuer leur emprise sur les institutions politiques de représentation gouvernementale de la province.

Coincés entre la tribu et le parti, les citoyens de la province d’al-Anbar sont les grands laissés pour compte de la politique irakienne. Au vu des résultats des élections d’octobre, son destin continuera de lui échapper pour longtemps encore. Difficile dès lors d’envisager tourner la page du chaos et de la désaffectation qui hante al-Anbar depuis 15 ans et les années de déplacements forcés successifs depuis 2014. Nombreux attendent également d’être indemnisés pour leurs biens détruits par la guerre. Il semble peu probable que la vieille garde politique s’investisse davantage que par le passé pour dédommager les plus démunis de leurs concitoyens.