L’écho du slogan « Jin, Jiyan, Azadi » atteint le Kurdistan irakien

Alors que les manifestations dans le Kurdistan iranien[Rojhelat] et dans le reste de l’Iran gagnent l’attention et le soutien du monde entier, la rivalité intra-kurde dans le kurdistan irakien (KRG) entre l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) entravent la population dans l’expression de sa solidarité avec les manifestations outre-frontière. Ces contraintes sont d’autant plus accentuées par les liens politiques qu’entretiennent ces poids lourds de la politique kurde irakienne avec les États voisins. 

Jina Amini (également connue sous son nom imposé par les autorités iraniennes de Mahsa Amini car l’Iran refuse de reconnaître les noms kurdes), était une femme kurde de 22 ans originaire de Saqqaz, qui aspirait à devenir avocate. Cependant, le régime de la République islamique d’Iran a mis fin à son rêve le 16 septembre 2022. Elle a été gravement battue alors qu’elle était détenue par la police des mœurs pour ne pas avoir correctement porté le hijab obligatoire.

Malgré les tentatives du régime de cacher la cause du décès au public, l’histoire a finalement éclaté grâce à la journaliste Niloofar Hamedi, qui a ensuite été arrêtée pour avoir diffusé l’information.

La nouvelle s’est vite répandue dans tout le pays et au-delà, déclenchant des émeutes dans toutes les villes kurdes d’Iran. Quasiment toutes les provinces du pays leur ont emboîté le pas, de Téhéran au Baloutchistan en passant par l’Azerbaïdjan et le Khouzistan. Dans toutes ces régions, les manifestants ont exigé la fin de la dictature théocratique, du patriarcat et du hijab obligatoire. 

Simultanément, les Kurdes de la région du Kurdistan irakien ont tenté d’organiser des manifestations pour soutenir le peuple iranien et en particulier les provinces kurdes d’Iran qui ont été confrontées à une discrimination systématique, à des poursuites et à des interdictions de langue dans les institutions officielles et gouvernementales. 

Des difficultés de manifester au Kurdistan irakien

Organiser des manifestations dans la région du Kurdistan est toujours délicat. Les partis au pouvoir ont des liens étroits avec les pays voisins, oppriment les minorités kurdes à l’intérieur de leurs frontières nationales et pénètrent souvent dans la région du Kurdistan pour affronter les forces d’opposition kurdes réfugiées dans ses frontières montagneuses. 

Les accords politiques, économiques et parfois sécuritaires que les partis locaux ont avec ces pays rendent difficile pour la population sous son contrôle de protester contre les États qui terrorisent les Kurdes dans d’autres régions Kurdes. L’UPK, le parti au pouvoir à Sulaymaniyah et historiquement proche des autorités iraniennes, a d’ailleurs plus réprimé les manifestations que le PDK à Erbil (traditionnellement plus lié à Ankara). 

La première manifestation de soutien au Kurdistan oriental et au peuple iranien a éclaté dans la capitale de la région du Kurdistan, Erbil. La manifestation a été bien accueillie et a été suivie par de nombreux groupes kurdes de différentes parties du Kurdistan. 

Hayv K., une militante féministe de gauche investie dans la question nationale kurde, a assisté à la manifestation : « Les forces du PDK n’ont pas été aussi violentes envers les manifestants que ce que nous avions anticipé ». Elle ajoute : « Mais ce n’est pas choquant, car le PDK a une relation forte avec la Turquie contre l’Iran, contrairement à l’UPK, qui est plus proche de l’Iran ». Malgré ces liens politiques qui rapprochent le PDK de la Turquie par rapport à l’Iran, les Asaiysh (forces de sécurité) d’Erbil n’ont toutefois pas permis aux manifestants de marcher vers le consulat iranien.

Elle rappelle également l’anecdote où, lors des récurrents bombardements turcs de zones kurdes dans la région du Kurdistan, ses amis ont tenté de manifester devant l’ambassade de Turquie et ont immédiatement été arrêtés. Le PDK n’autorise aucune opposition à la Turquie sur son territoire.

La militante Hayv K. pense que ces manifestations devraient être publiquement soutenues. « Mais je vois aucune prise de position politique ou médiatique sur cette question » déplore-t-elle. Hayv reproche aux médias kurdes, comme Rudaw ou Kurdistan 24, proche du PDK, leur manière de couvrir les manifestations. Elle pense que ces officines affichent du contenu provocateur, comme les images des hijabs qui brûlent, en les sortant de leur contexte plutôt que de se concentrer sur les femmes et les hommes courageux qui défendent leurs droits contre la tyrannie et crient le slogan « Jin, Jiyan, Azadi » (slogan des manifestants qui se traduit par « Femme, Vie, Liberté ».

Le slogan a été inventé par le leader kurde emprisonné Abdullah Öcalan, et depuis 2013 ces trois mots sont devenus le symbole de la résistance féministe kurde contre le patriarcat, l’impérialisme et le capitalisme. Ce slogan, adopté au Rojhelat et par d’autres Iraniens résistant au régime, lui a permis de se populariser et d’attirer l’attention du monde entier sur ces quelques mots et sur la science de la jinéologie.

Sulaymaniyah a également organisé une manifestation de solidarité dans le parc Azadi avec la participation de nombreuses organisations politiques de femmes des quatre parties du Kurdistan. Cette initiative est un événement singulier car il est rare que des partis kurdes aussi divers se rassemblent. Lors de cette manifestation, les sections des droits des femmes de ces partis se sont unies sous le slogan « Femme, Vie, Liberté » pour soutenir les femmes qui résistent au régime au Kurdistan oriental et dans le reste de l’Iran. 

Quelques jours plus tard, les habitants de Sulaymaniyah ont tenté cette fois d’organiser une manifestation plus large pour montrer leur solidarité. Cependant, les Asaiysh de l’UPK n’ont pas toléré ce nouveau rassemblement. « Nous avons vu de nombreux journalistes et reporters tousser, les larmes aux yeux à cause de l’emploi massif de grenades lacrymogènes contre les manifestants », raconte Sawen Gelas, étudiante en études internationales et militante féministe qui a participé à la manifestation. « Nous nous sommes rendu compte que la police avait utilisé des gaz lacrymogènes contre la population avant même que les manifestations n’aient commencé ! ».

Les manifestants ont été bloqués dans une ruelle pendant qu’ils tentaient de s’introduire dans la rue principale, ce qu’ils avaient l’autorisation de faire, mais les forces de l’ordre les ont débordés et se sont heurtées aux manifestants, se souvient Mme Gelas. 

Un manifestant arrêté par les Asaiysh a déclaré avoir été humilié, battu et injurié. Il se souvient qu’on lui a dit : « Va te faire foutre, toi et le Kurdistan pour lequel tu te bats ». « J’ai été choqué d’entendre de telles remarques de la part des Kurdes, mais au final, nous devons savoir que la loyauté de ces gens n’est pas pour le Kurdistan ».

La République islamique d’Iran ne s’est pas contentée de faire fermer les partis proches d’elle et d’arrêter les manifestants. Elle a également déclenché une série de bombardements aux frontières et dans des villages kurdes soupçonnés d’abriter des sièges de partis politiques d’opposition kurdes iraniens. 

Mme Gelas a déclaré que ses proches dans leur village, Zirgwez, ont dû échapper aux missiles balistiques iraniens et aux drones suicides qui ont ciblé la zone, blessant et tuant des dizaines de civils et de membres de l’opposition kurde, dont des femmes et des nourrissons. 

« Quand mes proches sont revenus, c’est le PDK-I (Parti démocratique du Kurdistan iranien, un mouvement politico-militaire kurde menant une insurrection contre le gouvernement iranien) qui leur a conseillé de rester en sécurité et d’évacuer la zone car il pourrait y avoir de nouvelles attaques », ajoute Mme Gelas, « ce sont les partis kurdes de l’Est qui nous ont aidés à rester en sécurité, pas ceux du KRG qui sont censés contrôler ces zones ». 

La Turquie et l’Iran bombardent constamment les montagnes kurdes ainsi que des infrastructures où il prétendent que des rebelles jurdes qu’ils considèrent comme terroristes se réfugient. Récemment, l’armée turque a bombardé une station balnéaire au kurdistan irakien tuant plusieurs touristes irakiens et créant une crise diplomatique sans précédent. Outre les bombardements, plusieurs assassinats ciblés ont endeuillé le Kurdistan. L.a dernière victime en date était Nagihan Akarsel, militante des droits des femmes et cofondatrice du Jineoloji Academy Center. Elle a été assassinée par deux hommes à moto devant sa maison à Sulaymaniyah. 

Les deux meurtriers ont été capturés par l’UPK alors qu’ils fuyaient vers les zones contrôlées par le PDK. Les proches de Nagihan Akarsel assurent que l’agence du resnseignement turc, le MIT est à l’origine de  cet assassinat, motivé par la crainte de voir se propager la jinéologie, qui ébranle son réseau de pouvoir patriarcal.

Les manifestations en Iran durent depuis plus de deux mois. Le régime cible et kidnappe quotidiennement des manifestants. Le Kurdistan et le Baloutchistan comptent le plus grand nombre de morts aux mains du régime. 

En ce qui concerne les attentes des habitants du Kurdistan iranien, Tofan, un étudiant militant, déclare : « Il est vrai que les kurdes d’Iran attendent plus de solidarité de la part du Kurdistan irakien ; cependant, nous comprenons également leur situation et la violence dont font preuve les partis contre le peuple là-bas ». 

« Par exemple, », poursuit-il, « nous savons que l’Iran fait pression sur le KRG pour forcer les partis kurdes iraniens à abandonner leur bases et à se désarmer. Nous reconnaissons également que les représentants du KRG ont rejeté ces demandes et que la population locale a aidé les familles dans les camps de réfugiés du Kurdistan oriental situés dans le KRG que l’Iran a bombardés ; Elle leur a apporté de l’aide et ouvert ses maisons ».

Récemment, le Premier ministre du KRG, Mr. Masrour Barzani a reçu à Erbil le vice-ministre iranien des Affaires étrangères chargé de la diplomatie économique, Mahdi Safar, et le vice-ministre du Commerce, Ali Fikri. La réunion a été considérée avec soupçon en raison du timing. Des déclarations officielles ont annoncé que la réunion s’est concentrée sur le renforcement de la relation économique entre Erbil et Téhéran. Néanmoins, le peuple craint qu’il y ait eu plus de sujets abordés, notamment la répression des opposants au régime iranien présent sur le sol du KRG.

Sur la solidarité, Tofan dit aussi que « Toutes les nations d’Iran s’unissent contre le régime ; les Kurdes, les Baloutches, les Turcs, les Arabes et d’autres montent tous des slogans pour se soutenir les uns les autres », des slogans comme « De Zahedan au Kurdistan, tout l’Iran est dans le sang », « Le Kurdistan n’est pas seul, l’Azerbaïdjan le soutient », ou encore « L’honneur du Kurdistan est l’honneur du Baloutchistan ». 

L’une des raisons de la récurrence du nom du Kurdistan dans les slogans est que les protestations ont d’abord commencé là-bas et se sont étendues à d’autres provinces. 

Le régime a tenté pendant des décennies de diviser ces minorités à l’intérieur de l’Iran tout en prônant un centralisme perse et en dressant les minorités les unes contre les autres. Cependant, les protestations généralisées suite à la mort de Jina Amini ont prouvé le contraire et ont uni les différentes communautés contre le pouvoir des mollahs. Et c’est la différence entre les protestations actuelles et les précédentes ; ainsi que le suggère Tofan, les personnes dans les rues des différentes villes ne protestent pas seules mais bel et bien ensemble.

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