“J’ai l’impression que mon corps ne m’appartient plus”

Zainab est une jeune femme lesbienne de 22 ans originaire de Bagdad. Sa famille l’a forcé à épouser un homme. Ce dernier l’a violé à plusieurs reprises. Lorsqu’elle essaya de retourner dans la demeure familiale, elle a à nouveau subi des violences physiques et a été forcée par ses proches à retourner vivre chez son époux. Depuis, elle souffre de sérieux troubles mentaux qui affectent sa santé, ce qui l’a poussé à commettre plusieurs tentqtives de suicide alors qu’elle n’a aucun accès à un thérapiste. Comme elle le dit elle-même: “j’ai l’impression que mon corps ne m’appartient plus”, explique la jeune femme.

La succession de guerres, l’économie en rade, l’insécurité, les groupes armés qui font la loi dans les rues… Autant de facteurs qui accentuent les risques de crimes contre les gays, les lesbiennes, les personnes bisexuelles ou transgenres (LGBT) en Irak. Parallèlement, cette violence engendre un accroissement des cas de troubles mentaux, de dépressions et même de suicides chez les personnes LGBT dans le pays. Celles-ci n’ont d’autres échappatoires pour fuir la misère dans laquelle ils et elles vivent alors que les services relatifs aux troubles psychologiques restent inaccessibles pour l’écrasante majorité de la population. 

Bien que l’homosexualité ait été retiré de la liste des maladies de l’Association Américaine de Psyichiatrie en 1987, et de celle de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1990, ce comportement reste associé à une forme de trouble psychologique que certains praticiens tentent toujours de rectifier par des thérapies de conversion qui ne sont ni plus ni moins de la torture pour les homosexuels. Pourtant, l’OMS rappelle régulièrement les effets négatifs de ces tentatives de “rectifications” par des thérapeutes ou psychologues qui emploient l’homéopathie sur leurs patients pour les soumettre à leurs croyances religieuses et normes sociales aux dépens de la liberté sexuelle des LGBT. 

Lara Emad, habitante de Nasiriyeh de 23 ans, est lesbienne. Elle explique avoir découvert son identité sexuelle autour de ses quatorze ans et qu’elle a immédiatement tenté de cacher ses penchants à sa famille, en particulier dès lors qu’elle a commencé à être sujette à des violences physiques de la part de ses parents qui l’accusait de trop vouloir imiter les hommes. “J’ai fait face à de la discrimination dans ma famille. À quinze ans, mon père m’a enfermé dans une pièce obscure pendant trois jours, m’empêchant d’aller à l’école car j’avais coupé mes cheveux. Il me menaçait en disant que Dieu allait me punir pour avoir tenté d’imiter les hommes. Même ma mère m’a détesté dès qu’elle a compris que j’étais attirée par les filles.”, explique la jeune femme. Lara souffre d’une dépression qui l’a déjà poussée à se faire du mal. Sa voix bredouillante laissait transparaître une forte anxiété au moment de témoigner du calvaire qu’elle traverse. 

“Chaque nuit, je me réveille en plein cauchemar avec des visions de quelqu’un qui essaye de m’étouffer. C’est lié aux abus et à l’ostracisme auquel je fais face. La violence que je me fais subir est le résultat de cette angoisse: j’essaye de l’éliminer par la douleur.”, ajoute-t-elle.

De nombreux psychiatres en Irak continuent de traiter la dépression et l’anxiété des LGBT de manière cynique, attribuant leurs problèmes psychologiques à leur orientation sexuelle. D’autres médecins insistent à prescrire des traitements hormonaux pour induire les LGBT à changer d’orientation sexuelle. D’autres médecins ont également contraint leurs patients à lire le Coran ou à visiter des lieux spirituels pour les libérer de Satan en accord avec leurs croyances religieuses, cela sans se soucier de la vie privée de leurs patients ou de leur santé psychique. 

Il y a plusieurs années, un docteur irakien a avancé qu’il était en mesure de soigner l’homosexualité. Selon ce médecin, ce phénomène serait la consqéquence d’un viol dans l’enfance pour le ou la déviant(e), ce qui entraine un affaiblissement de sa confiance en soi et une modification de son orientation sexuelle. Ces théories fumeuses sont populaires au sein du corps médical ainsi qu’auprès de nombreux thérapeutes et entraînent une recrudescence du discours haineux envers la communauté LGBT en Irak, sans aucune considération sur l’impact de ces discours sur leur santé mentale ou psychique. 

Sur son compte Twitter, le leader politico religieux Moqtada Al-Sadr a suggéré que la variole du singe était le résultat de comportements homosexuels simplement parce que des cas de la maladie ont été détectés chez des membres de cette communauté lors de la dernière propagation de cette maladie. “Je les appelle à se repentir. J’appelle le gouvernement à révoquer les lois protégeant les droits des homosexuels afin de préserver l’humanité de l’épidémie de variole du singe, ou variole des homosexuels”. Le leader a même proposé que l’on désigne une journée annuelle pour s’opposer à l’homosexualité. Ce n’est pas la première fois que le chef du courant sadriste accuse les LGBT de répandre des maladies, puisqu’il les avait déjà jugé que la légalisation du mariage pour tous dans les pays occidentaux était la principale cause de propagation de la pandémie du Coronavirus.

Pressions psychologiques

Iraq Queer est la première ONG à se spécialiser sur les droits des LGBT en Irak. L’association fournit également une assistance aux LGBT dans le pays comme l’organisation de groupes de soutien, des prescriptions dans certains cas ou encore des séances de thérapies psychologiques auprès de spécialistes sensibles à la question des LGBT. 

Les psychothérapeutes travaillant avec l’ONG ont apporté une assistance à de nombreux membres de la communauté LGBT souffrant de troubles psychologiques et de problèmes liés aux violences domestiques auxquelles ils sont exposés. La psychothérapie offre un espace sécurisant où ceux-ci peuvent s’exprimer sur leurs problèmes de santé mentale, sur leurs expériences pénibles de la vie de tous les jours ou de l’impact de la guerre, des troubles de l’enfance, de la mort et des cas de harcèlement auxquels ils sont sujets. 

Depuis la pandémie de Coronavirus de 2019, le taux de personnes utilisant des sédatifs a explosé dans le monde. Cela a paradoxalement entraîné une recrudescence des troubles psychologiques. Les membres de la communauté LGBT ne font pas exception et sont particulièrement vulnérables à ceux-ci car les confinements forcés au sein de leurs familles ont engendré de nombreux cas d’homophobie.

Selon les statistiques de l’ONG Médecins sans Frontières et de l’OMS, l’Irak est devenu un foyer pour les troubles mentaux, un constat toujours plus exacerbé par la banalisation de l’insécurité et des troubles politiques. Corollaire au manque de statistiques et d’études sur les troubles mentaux en Irak, on ne trouve que trois hôpitaux dans le pays qui abordent le problème: les hôpitaux Al-Rashad et Ibn Rushd à Bagdad ainsi que l’hôpital de Suz à Sulaymaniyah.

En 2020, l’ONG Iraqueer a enquêté afin de déterminer combien de membres de la communauté LGBT avaient recours aux soins pour les troubles mentaux. Certains d’entre eux ont précisé à l’ONG qu’ils préféraient consulter un médecin en dehors de leur ville de résidence afin d’éviter la stigmatisation sociale, comme l’explique Murtada Hassan, un habitant de Nadjaf de 17 ans: “J’ai eu de sérieux troubles psychologiques du fait de harcèlements provenant de camarades à l’école après que l’un d’entre eux ait révélé que j’étais trans. Cela m’a profondément affecté psychologiquement. Mon père m’a même forcé à consulter un sheykh religieux qui a prétendu que j’étais possédé par le démon avant de me battre avec un bâton sur tout le corps en scandant des sortilèges incompréhensibles pour tenter de nous convaincre mon père et moi qu’il pratiquait un exorcisme. Depuis ce jour, je souffre de dépression et de troubles mentaux.”

Les enjeux du soutien social

Les membres de la communauté LGBT ont de grandes difficultés à trouver des thérapeutes et des psychiatres qui fassent la différence entre les croyances religieuses, les normes sociales et le devoir objectif d’assister un patient. 

Hadeel Zuhair – un pseudonyme donné pour des raisons de sécurité – est une psychiatre de 33 ans. Elle clarifie pour nous le lien entre troubles mentaux et homosexualité: “Les problèmes psychologiques que rencontrent les LGBT en Irak ne sont pas dus à leur orientation sexuelle, mais bien aux comportements malsains auxquels ils font face dans la société. Ce sont ces comportements qui entraînent de sérieux troubles psychiques. Les réalités de ces violences sociales liées à leur orientation sexuelle ne sont pas reconnues, ce qui engendre de la dépression et des troubles de l’identité de genre”, explique la psychiatre. 

“Il faut également comprendre qu’accepter un soutien social ne veut pas forcément dire qu’on est mentalement atteint. Quiconque peut avoir à affronter des crises psychologiques. Quant au soutien spécialisé, il est le fruit d’une consultation médicale qui débouche sur un diagnostic appelant à un traitement. Celui-ci doit toujours respecter la vie privée, l’identité et la dignité du patient” conclut Hadeel.