Les différentes composantes religieuses Irakiennes sont sorties fortement affaiblies de la crise politique actuelle qui secoue le pays.

Ces tensions politiques poussent ces groupes ethniques et religieux au désespoir. Peu à peu s’installe la conviction qu’un avenir sombre les attend, tant elles paraissent incapables d’assurer leur existence politique ou sociale. Pour beaucoup de membres de ces communautés, l’immigration est la seule solution pour survivre.

En Irak, les forces politiques prépondérantes — surtout les Kurdes et les chiites — ont réussi à coopter la représentation politique des minorités en les privant de toute influence concrète.  

Les chrétiens, par exemple, ont le plus grand quota de représentants dans le parlement iraquien avec cinq députés – comparé aux autres composantes religieuses qui n’en ont qu’un -. Cette représentation est devenue obsolète à partir du moment où leurs députés sont entrés en coalition avec les représentants des factions militaires chiites des Unités de mobilisation populaire, ou Hashed al Shaabi, et qu’ils n’ont plus voté que pour ce courant.

Cooptation politique

Ce courant chrétien, représenté par Rayan al-Kildani, est progressivement devenu un acteur important de la liste des factions armées pro iraniennes, d’autant plus qu’il est officiellement enregistré comme l’un des leaders des Hashed al Shaabi. Al-Kildani a en effet créé une faction armée durant la campagne de libération de Ninive face à l’État islamique.

La cooptation des sièges chrétiens, tant par al-Kildani que par les autres candidats influencés par les puissants partis irakiens a initié une grande controverse au sein de l’Église chaldéenne, une communauté catholique de l’Église Chrétienne d’Orient. À plusieurs reprises, le chef de l’Église, le cardinal Louis Sacco, a critiqué les députés chrétiens, affirmant dans une de ses déclarations que « le quota de la composante chrétienne n’est pas représentatif, car ceux qui occupent ces sièges ont trompé leurs électeurs par le passé et n’ont rien fait pour les chrétiens. Même s’ils sont de divers partis et soutenus par des groupes différents, la plupart d’entre eux ne se sont pas présentés pour servir le peuple et fournir des services, mais plutôt pour obtenir de l’argent et du pouvoir. »

Le militant chrétien Khlapiel Benyamin a exprimé à The Red Line son pessimisme en disant : « Les grands partis politiques contrôlent clairement le destin de toutes les composantes minoritaires de la société iranienne, surtout la composante chrétienne, malgré tous les efforts entrepris pour contrer cette domination. Les vraies solutions n’existent pas. C’est inquiétant pour l’avenir des chrétiens comme pour celui des autres composantes en minorité. »   

La représentation de la composante yézidie n’est pas meilleure. Elle est en effet sous le contrôle du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). l’élu yézidi siégeant au parlement est effectivement souvent lié aux partis kurdes.

Vian Dakhil est la parlementaire yézidi la plus connue à être associée au Parti Démocratique Kurde (PDK), mais d’autres députés yézidis sont sous l’influence de ce parti et avancent son agenda au parlement.

À chaque élection, la concurrence pour les votes des yézidis et leur représentation s’intensifie, surtout que les votes de ceux qui vivent encore dans les camps contrôlés par le PDK dans la région du Kurdistan irakien vont vers ce parti et pas vers son concurrent, le parti de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK).

Dans la région du Kurdistan irakien (KRG), le contrôle est divisé entre les deux partis kurdes. Le PDK, dirigé par la famille Barazani, contrôle la capitale Erbil, Dohuk, le nord de la plaine de Ninive, tandis que l’UPK, dirigé par la famille Talibani, contrôle la province de Souleymanieh.  

Les candidats indépendants yézidis n’ont pas le droit de faire campagne dans les camps qui sont sous le contrôle du PDK. En revanche, le vote pour le seul siège de la composante yézidie est dans la circonscription de Mossoul, où la majorité des yézidis ne peut pas voter, étant pour la plupart déplacés au KRG selon le militant et ex-candidat yézidi Jassem Mourad.

Mr. Mourad explique à The Red Line que la question des yézidis et des minorités en général ne faisait jamais partie des priorités des politiciens irakiens: « Ils ne font que monopoliser nos droits et saisir notre pouvoir politique, surtout après tout ce qu’on a vécu en tant que composante. La plupart de composantes ne croit plus avoir un avenir en Irak, il n’y a aucun véritable intérêt à résoudre nos problèmes, ni à nous représenter ».

Quinze yézidis se sont présentés comme candidats pour les élections anticipées d’octobre 2021, dont sept dans les listes des partis kurdes et huit candidats indépendants. Tous en concurrence pour un seul siège selon le système des quotas.

De leur côté, les membres de la communauté des sabéens/mandéens ont également été privés de leurs droits politiques. Le député représentant cette composante, qui détient un siège selon le système des quotas, est souvent contrôlé par les grands partis et est souvent affilié à l’une des principales forces chiites, soit la coalition de l’État de droit dirigée par le chef du parti Dawa, Nouri al-Maliki, ou le bloc du Mouvement sadriste, dirigé par son chef Muqtada al-Sadr.

Ce constat se répète à chaque cycle électoral. Le député de la session 2018 était lié à la coalition de l’État de droit, étant même considéré comme l’un des députés de la coalition à l’époque, tandis que l’actuel député de la composante rejoignait certains des députés indépendants, mais a finalement rejoint le bloc du mouvement sadriste peu avant son retrait du parlement.

Selon l’activiste sabéen Ihsan Manhal, « nous n’avons jamais obtenu quoique ce soit de nos représentants, ils n’ont pas préservé nos droits et ne les ont pas mis en avant au parlement. Nous sommes les descendants des premiers peuples originaires de cette terre, or nous sommes devenus minoritaires en Irak à cause de l’immigration. Notre siège au parlement revient aux grands partis; même cette représentation garantie par la Constitution nous a été volée. »

Exploiter pour mieux dominer

A l’aune des nouvelles tensions qui secouent le pays, une nouvelle forme d’exploitation a émergé, jetant toujours plus d’huile sur le feu. Beaucoup de leaders des partis islamistes participent en effet à des événements religieux des minorités, insistant qu’ils soutiennent ces composantes.

L’ex-député de la minorité chrétienne Joseph Siloua explique à The Red Line que « les partis islamistes dans le centre et le sud du pays, ainsi que les partis kurdes dans le nord, instrumentalisent les forces politiques des minorités tout en se jouant des principes de la démocratie participative. Ils se présentent comme s’ils défendaient la démocratie et la diversité, mais se comportent comme de vrais tyrans qui exploitent les chefs religieux des minorités pour créer une illusion de diversité ».   

Mr. Siloua ajoute que « Les grands partis manipulent les religions et les droits des peuples en exploitant les chefs religieux, à Erbil comme à Bagdad. Le pouvoir à Erbil est nationaliste kurde et dans le sud et le centre est islamiste sectaire chiite ».

Composantes ou minorités ?

À la lumière de la domination politique des grands partis sur les communautés non musulmanes en Irak, la question reste toujours de savoir si ces sectes sont des composantes ou des minorités.

Indépendamment de graves transformations historiques au sein de ces groupes ont eu lieu en Mésopotamie. Ils sont aujourd’hui exposés à d’énormes pressions sécuritaires et sociales qui poussent leurs membres à émigrer en grand nombre depuis l’Irak, ce qui a fortement réduit leur poids démographique.

À cet égard, Mr. Siloua souligne que ces composantes ont joué un rôle prépondérant dans la construction des civilisations sur cette terre. « Malheureusement, elles sont aujourd’hui incapables d’exprimer leurs ambitions à travers leurs représentants officiels au sein des institutions de l’État. Au contraire, certaines personnes ou ecclésiastiques sont recrutés, au nom de ces composantes, pour prendre des avantages et de l’argent et sont, en échange, un outil entre les mains de ceux qui ont le vrai pouvoir. »

Siloua poursuit : « les composantes non musulmanes n’étaient pas des minorités, mais elles le sont devenues de fait, suite à des massacres et des vols de leurs terres ce qui a engendré un changement démographique progressifs dans leurs régions. déplacements, persécutions et emprisonnement ont poussé ces communautés marginalisées à émigrer, devenant toujours plus des minorités numériques dans leur mère patrie ».

Une peur de l’inconnu

Même en acceptant le fait accompli, les membres des minorités ne se sentent pas en sécurité dans un Irak instable ravagé par des crises successives. Par conséquent, ils sont toujours hantés par la recrudescence du chaos, qui ferait d’eux des proies faciles pour les gangs et les groupes armés.

Mr. Benyamin explique que l’Irak traverse actuellement une phase critique et particulièrement instable: « Ce n’est pas nouveau, mais ce n’était pas aussi grave dans le passé. Cette fois-ci, la lutte porte sur le pouvoir et l’influence au sein du gouvernement, et pas seulement sur les intérêts économiques. Désormais, on est proche d’un affrontement armé. Cela perpétue un état de peur constante pour l’avenir de ce pays au sein des minorités. »

Le commentateur chrétien estime que les actions récentes de Moqtada Al-Sadr ont sapé le processus politique. « Il semble qu’il ait regretté d’avoir quitté le Parlement et demande désormais sa dissolution. Mais il aurait mieux valu pour lui d’attendre que le nouveau gouvernement iraquien soit formé pour protester contre lui par des manifestations, mais il a suivi sa démarche habituelle et a utilisé le mouvement populaire sadriste qui est considéré comme le mouvement politique le plus fort en Irak aujourd’hui, c’est ce qui a presque complètement stoppé le processus politique. »

En ce qui concerne les alternatives politiques, l’activiste yézidi Mourad soutient les demandes des sadristes d’organiser des élections anticipées « parce que le parlement actuel est impuissant ». Mais il n’est pas d’accord avec les démarches du mouvement sadriste et la confusion qui en résulte dans la vie quotidienne : « Nous n’étions pas non plus d’accord avec les prises de position du Cadre de la Coordination, le principal bloc rival du courant sadriste. », ajoute-t-il, faisant allusion au mouvement affilié au politicien Nouri al Maliki, le grand rival des sadristes. 

Mr. Mourad explique que les sadristes auraient dû avoir la possibilité de former un gouvernement majoritaire avec d’autres, ce qui aurait créé une opposition parlementaire « Toutefois, après la démission des sadristes, ils ont dû accepter la formation d’un nouveau gouvernement et ne pas ériger d’obstacles pour empêcher sa formation. », note l’activiste. 

Phase terminale

Le nombre de personnes appartenant à des minorités a fortement diminué en Irak depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui. Les statistiques disponibles indiquent que le pays est en passe de ne plus en avoir, car la plupart d’entre eux préfèrent émigrer.

Mustafa Al-Omran, journaliste spécialisé sur les affaires des minorités, déclare dans une interview à The Red Line que « la situation des minorités religieuses en Irak est moribonde et qu’il ne reste plus beaucoup de temps avant que l’Irak ne soit dépourvue de composantes non-musulmanes. »

Al-Omran explique que « le nombre de chrétiens a diminué jusqu’à atteindre moins de 250 000 personnes en Irak. Leurs droits politiques sont violés ainsi alors qu’une grande partie de leurs biens immobiliers leurs sont peu à peu subtilisés. Il y a un changement démographique dans leurs régions. La situation des yézidis n’est pas différente de celle des chrétiens, et ils souffrent toujours de l’extermination qu’ils ont subie en 2014, et il y a actuellement une nouvelle vague de migration yézidie vers l’Europe. »

Il ajoute que « le nombre de Sabéens est tombé à moins de 15 000 personnes, tandis que les Kaka’is et les Shabaks souffrent de conflits politiques entre Kurdes et chiites. » Mr. Al-Omran s’attend à ce que la situation des minorités ne [change] pas beaucoup après la fin de la crise actuelle: « A la lumière de la division sectaire du pouvoir dans le pays, je ne pense pas que la situation changera pour le mieux pour les Irakiens en général. »

Le maillon faible

La présence de minorités en Irak est directement liée à la capacité de l’État à les défendre. Au fur et à mesure que l’État s’affaiblit, elles recherchent une vie stable hors des frontières, et ainsi leur nombre diminue de jour en jour.

Mr. Saad Salloum, un expert de la diversité religieuse en Irak, explique à The Red Line que « les minorités sont dans tous les cas le maillon le plus faible en Irak à l’heure actuelle, et plus l’État et ses institutions s’affaiblissent, plus le nombre de personnes qui considèrent l’immigration comme une solution possible grandit. »

Salloum ajoute : « Elles ne semblent pas voir de lumière au bout du tunnel au milieu des crises récurrentes, d’autant plus qu’elles n’ont pas d’impact significatif sur la forme du système politique, ses scénarios de réforme ou les rapports de force en son sein ».

Le chercheur Muhammad Abdul-Ridha estime que la perte des droits des composantes est dû au système de quotas qui domine le processus politique : « Le système de quotas, en tant que partage des positions et des ressources de l’État sur la base de l’identité, permet aux composantes démographiquement majeures, c’est-à-dire chiites, sunnites et kurdes, de s’accaparer les postes et les ressources, privant ainsi d’autres composantes de leurs droits à participer au processus politique de l’administration de l’État, et place le sort de ces composantes sous le contrôle des composantes majeures ».

Quant aux apparences de la coexistence des dirigeants des partis islamiques avec les autres composantes, Abdul Redha dit : « Cette façade ne représente pas la réalité des positions des partis islamiques envers les composantes. Si ces partis en ont l’opportunité, ils ne se montreront pas très différents de l’organisation terroriste Daech ».

Tant que le vote pour le siège des minorités ne sera pas destiné aux seules minorités, sans que les composantes majoritaires de la société irakienne ne puissent interférer sur son issue, la représentation de ces groupes resteront une mascarade vidant la démocratie de son essence participative, poussant toujours plus ces communautés vulnérables sur la route de l’exil. 

ViaSaman Daoud