La police des frontières irakienne et les forces de sécurité sont incapables de prendre les mesures appropriées pour lutter contre la contrebande et la fabrication de drogue. En raison de la situation instable en Irak, le pays est devenu un point de passage majeur pour la contrebande de stupéfiants vers les pays voisins. Ce constat troublant n’est pas récent et pré-date même l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. À cette époque, une coalition internationale dirigée par les américains a envahi l’Irak dans le but officiel de renverser le régime Baasiste dirigé par Saddam Hussein.Par la suite, le vide sécuritaire qui a englouti le pays a considérablement accru le problème du trafic de drogue.

L’incapacité des forces de l’ordre à contrôler tous les passages frontaliers a permis à l’Irak de devenir le parfait passage pour la drogue.

Cependant, le lundi 1er mars 2021, le ministère de l’Intérieur a annoncé l’arrestation de 14 suspects accusés de trafic de drogue. Toutefois, la déclaration du ministère n’a pas précisé d’où venaient ces suspects ni quels types de drogues ont été confisqués.

Décrivant la nature du trafic, le communiqué indiquait également que la plupart des drogues de contrebande transitent vers l’Arabie saoudite via le sud de l’Irak, ajoutant que le ministère de l’Intérieur a détruit de grandes quantités de drogue ces dernières années, en particulier du haschich et de l’opium.

Évoquant les conflits politiques et le rôle des milices dans la contrebande, l’écrivain irakien Kifah Muhammad a tweeté : « Alors que des factions politiques influentes à Bagdad font pression sur la région du Kurdistan en supprimant les salaires de leurs employés fédéraux, les milices utilisent les eaux territoriales irakiennes pour la drogue, et les opérations de contrebande de pétrole.»  

 Régions et dispositifs de contrebande

Les passeurs ont développé de nombreuses méthodes pour contourner les polices aux frontières. Selon Basim, un surnom d’un garde-frontière : « Les trafics se classent entre ceux qui ont des arrangements avec des fonctionnaires corrompus ou non». Basim nous confirme qu’il existe des liens tenaces et multiples entre l’élite politique et les cartels de la drogue opérant en Irak. Il nous explique pourquoi la contrebande de drogues est un commerce si important en Irak : « les drogues sont synonymes d’argent; Il y a une grande différence entre les profits émanant du cannabis, des méthamphétamines ou des extraits d’opioïdes. Ces derniers étant plus rentables, ils permettent induisent de bonnes connexions politiques et donc une meilleure immunité face à la loi”.

Cependant, les trafiquants les moins puissants s’arrangent aussi avec des gardes-frontières de rang inférieur, comme l’a expliqué Basim, tandis que d’autres passent leur marchandise en contrebande par des routes cachées le long des frontières. Ils cachent aussi des paquets de drogues dans des stocks de nourriture et d’autres marchandises aux points de contrôle réguliers.

Quant aux zones frontalières du nord, il existe des dizaines de routes de contrebande selon Ziyad al-Oubaidi, un chercheur en économie interviewé par The Red Line. « les frontières du nord de l’Irak avec la Turquie et l’Iran sont très difficiles à contrôler en raison de la nature du terrain dans la région”.

Il a également souligné que « les trafiquants de drogue profitent des points faibles aux frontières dans la région dans l’est de l’Irakien du Kurdistan jusqu’à Bassora ».

Le phénomène touche la plupart des régions et des villes au point que la drogue est devenue une véritable menace pour la jeunesse irakienne.

La députée parlementaire Leila Fleyih a révélé à The Red Line qu’il existe des violations documentées concernant les drogues dans les écoles et les universités: « des situations d’abus de drogues ont été enregistrées chez des collégiens et des lycéens ». Le phénomène menace de dévaster des générations entières, selon Fleyih. L’Irak glisse lentement au statut de pays de transit à un foyer de toxicomanie.

Drogues dans les quartiers

Dans la capitale, Bagdad, les taux de consommation de drogues indiquent une augmentation sans précédent ces dernières années. Au cours de la période récente, la culture de substances narcotiques, dont le cannabis, a même été repérée dans certains quartiers résidentiels. Ahmed, surnom d’un des habitants du quartier al-Furat où les plantes stupéfiantes ont été trouvées, déclare que : « Ces plantes sont présentes depuis des années sur les places publiques de notre quartier », ajoutant : « Nous ne les connaissions pas. Mais certains jeunes les utilisent avec de la chicha (narguilé) et il s’est avéré qu’il s’agissait de substances narcotiques. » Les forces de sécurité ont retiré et détruit les drogues trouvées dans ce quartier, après qu’un médecin ait signalé ces plantes aux autorités.

De nombreux jeunes devenus toxicomanes tentent aujourd’hui de se débarrasser de leurs habitudes après une expérience traumatisante qui les a amenés à vivre des problèmes sociaux, de santé, économiques et psychologiques majeurs. 

F.A., un jeune toxicomane irakien, se rend régulièrement dans un centre de soutien du gouvernorat de Wasit pour recevoir un traitement. Comme des dizaines d’autres comme lui, il espère recevoir une aide médicale des centres de soutien spécialisés à travers l’Irak. « J’ai vécu une expérience horrible à cause de la drogue et j’espère vraiment que les gens pourront comprendre la douleur que ces substances peuvent créer », a conclu F.A..

La contrebande aux points de passage

Les postes frontaliers irakiens sont témoins de diverses opérations de contrebande de drogue et d’autres matériaux, selon Omar al-Waili, chef de l’Autorité des Ports Frontaliers Irakiens, qui a déclaré à The Red Line : « La commission en charge des passages frontaliers a enregistré plus de 3000 violations liées à contrebande, y compris le trafic de drogue. »

Les autorités améliorent leurs procédures de surveillance, comme l’explique Al-Waeli : « Les autorités de passage des frontières ont commencé à installer des équipements de surveillance avancés visant à réduire les opérations de contrebande, y compris le trafic de drogue en Irak qui a augmenté ces dernières années et a commencé à détruire la jeunesse irakienne. »

L’expert en sécurité et stratégie Ali Fadlallah déclare : « L’abus de drogues menace les irakiens à bien des égards, y compris la sécurité nationale irakienne à travers l’augmentation des taux de criminalité due à la dépendance à ces toxines, ainsi que leur impact sur le système économique irakien à travers le déclin de la productivité et la motivation des jeunes. »

La drogue finance le terrorisme

La défaite de l’organisation État Islamique (également connue sous le nom d’ISIS) en 2017 n’a pas simplement dissous le mouvement terroriste, mais a plutôt activé un réseau d’activités clandestines pour maintenir ses rangs opérationnels. Le groupe terroriste a perdu la plupart des zones qu’il contrôlait ainsi que les champs de pétrole et les taxes agricoles avec lesquelles il finançait ses activités. Ainsi, aujourd’hui, l’État Islamique profite des points faibles aux frontières irakiennes et syriennes pour faire passer de la drogue à des fins financières.

Le chercheur en économie Abbas al-Hajj a révélé à The Red Line que les cellules dormantes de l’Etat Islamique présentes dans le désert occidental irakien et dans les zones proches de la frontière avec la Syrie font de la contrebande de drogue pour financer leurs activités criminelles. Al-Hajj a déclaré à The Red Line: « Le trafic de drogue est devenu une source majeure de financement pour l’Etat Islamique dans les villes occidentales de l’Irak, en particulier après que les banques mondiales ont pris de nombreuses mesures pour mettre fin à l’organisation terroriste. »

M. Al-Hajj a souligné que : « il était nécessaire d’intensifier les efforts de sécurité dans la bande frontalière avec la Syrie et la Jordanie ainsi que d’augmenter le nombre de forces sur le terrain pour surveiller les activités terroristes et les cellules de trafic de drogue, afin de protéger la société de ce dangereux fléau. »

Taux de criminalité élevés

La consommation de drogue ces dernières années a considérablement augmenté le taux d’activités criminelles en Irak, sans parler des suicides qui ont été constatés par les autorités irakiennes. Celles n’ont toutefois pas su apporter de solutions, comme ont pu le constater les experts irakiens ayant étudié cette question.

Le professeur Idris Al-Khalisi, spécialiste des sciences psychologiques à l’Université de Bagdad, a insisté sur un lien entre meurtre, vol, violence domestique et consommation de stupéfiants, soulignant que « les drogues ont des effets psychologiques et mentaux sur l’Homme. Par conséquent, elles conduisent souvent au crime. »

La large diffusion de la drogue en Irak n’a peut-être pas été une préoccupation majeure pour le gouvernement irakien car les mesures prises (raids de police, contrôles aux frontières…) ne correspondent pas aux exigences. Cependant, le défi est toujours d’actualité et les autorités sont confrontées à une épreuve majeure sur la manière de traiter les différents facteurs de la question.

Les problèmes économiques, le manque d’opportunités, la hausse des taux de chômage, le manque de projets de développement social ont conduit les jeunes irakiens à se tourner vers la drogue pour échapper à l’amère réalité qu’ils vivent depuis des années sans solutions immédiates ou même à long terme.

ViaMohammed Al-Awad - Bagdad