Dhi Qar est l’un des gouvernorats contenant le plus de sites archéologiques en Irak. Leur importance historique, scientifique et archéologique est immense selon les experts en fouilles qui ont visité la province. Ceux-ci ont découvert des dizaines de monuments qui ont façonné notre vision moderne de la Mésopotamie.

Dans le gouvernorat de Dhi Qar, il existe plus de 1200 sites archéologiques d’époques variées réparties à travers les millénaires. Ces sites sont répartis sur toute la surface de la province. Certains sont proches des centres urbains alors que d’autres ne sont que simples tumulus perdus dans les zones rurales. Ces dernières zones ne sont généralement pas protégées et, au fil du temps, elles subissent des pillages de plus en plus fréquents.

Les sites archéologiques éloignés des zones peuplées sont considérés comme les plus exposés aux fouilles illégales. Le pillage a en effet détruit de nombreux sites archéologiques de la province de Dhi Qar. Dans le même temps, depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui, les autorités irakiennes n’ont pas été en mesure de fournir des moyens de protection adéquats pour arrêter ces vols qui ont porté un coup fatal à la richesse archéologique du gouvernorat.

La négligence et l’indifférence envers les sites archéologiques au cours des dernières années ont contribué à l’augmentation du phénomène des fouilles illégales et de la contrebande d’objets archéologiques. En fait, de nombreux sites archéologiques du gouvernorat de Dhi Qar sont situés dans des zones désertiques reculées, facilement accessibles aux voleurs à la recherche d’objets de valeur à faire passer à revendre aux plus offrants, souvent à des prix exorbitants.

Les prémisses de la contrebande

« En Irak, il existait un marché populaire spécialisé dans les antiquités pillées. Les objets qui sortaient du gouvernorat de Dhi Qar étaient les plus fréquents », a déclaré Ali Naim, chercheur en histoire. Cette situation n’a toutefois pas toujours été la règle.

Il explique : « L’ancien régime [de Saddam Hussein] était dur avec les contrebandiers d’antiquités et il y avait des lois strictes encadrant le commerce des antiquités. Dans le même temps, l’ancien président irakien, a contribué à promouvoir une vision négative des sites archéologiques en les associant à sa propre image pour tenter de faire le lien entre l’héritage royal de Mésopotamie et son propre régime. Il a également permis à des amateurs de mener des fouilles et d’ériger des bâtiments modernes dans des sites antiques datant de plusieurs milliers d’années. »

L’instrumentalisation des antiquités par l’ancien régime et le chaos succédant à son renversement ont contribué à développer une culture générale du commerce de contrebande d’antiquités, ce qui a conduit à une crise massive. Par ailleurs, de nombreuses personnes du gouvernorat et qui travaillaient auparavant sur les chantiers archéologiques ont perdu leur emploi pendant les sanctions. Par la suite, ils ont utilisé leurs connaissances acquises lors des campagnes de fouilles légales pour piller ces mêmes sites, comme l’explique Naim.

Naim confirme qu’au début des années 90 une énorme vague de fouilles illégales a ravagé les sites archéologiques malgré l’existence de lois préventives. La plupart des gens n’ont pas cessé de fouiller ces sites, d’extraire des pièces de collection, puis de les vendre sur le marché local par des intermédiaires agissant dans l’ombre et seulement connus dans les milieux du trafic d’antiquités.

La fouille de sites archéologiques n’est pas une nouveauté, comme le confirme l’expert et chercheur en archéologie, Ali Al-Rubaie : « Pendant les sanctions contre le régime Baas (entre 1991 et 2003), il y a eu une explosion de fouilles illégales à l’intérieur des sites archéologiques. Malgré l’existence de sanctions légales dissuasives, le phénomène s’est poursuivi », a-t-il expliqué Al-Rubaie.

Al-Rubaie ajoute : « De nombreux facteurs ont poussé les gens à continuer à fouiller illégalement les sites archéologiques, notamment le rejet de l’autorité à l’époque. Les pillards considéraient souvent le pillage des antiquités comme étant légitime mais qui leur était prohibé. Ainsi, des centaines de jeunes ont appris à creuser professionnellement en participant à des missions de fouilles irakiennes qui ont commencé à la fin des années 1990 et se sont terminées avant la chute du régime de Saddam. Ils ont ainsi acquis de l’expérience dans la localisation d’objets précieux sur des sites archéologiques. »

Après 2003, le vol d’antiquités sur les sites archéologiques ne s’est pas arrêté, bien au contraire. Une nouvelle génération est apparue, à la recherche de monuments. Le site de Tall Al-Jokha, qui est le royaume sumérien d’Uma, à quelque 400 km au sud de Bagdad dans la province de Dhi Qar, est l’un des sites les plus vulnérables au vol.

Selon les archéologues, il n’existe pas de statistiques précises sur la taille et le nombre de d’objets volés sur les sites archéologiques de Dhi Qar. La plupart datent de la première ère sumérienne (quatrième millénaire avant J.C.) et étaient acheminées en contrebande via la Turquie, l’Iran, la Syrie et la Jordanie.

Les forces de police spécialisées dans la protection des antiquités dans le gouvernorat de Dhi Qar ont empêché deux tentatives de pillage en septembre 2020. La police s’est engagée dans une poursuite avec plusieurs groupes armés lors de deux opérations de vol distinctes à Tall Al-Jokha.

Surveiller les fouilles de près

Selon des sources sécuritaires, la police des antiquités a réussi à récupérer 438 pièces d’antiquité après avoir mené deux poursuites armées en 2020. Ces antiquités comprenaient des pièces de monnaie et de nombreuses pièces de poterie qui ont été pillées à Tall Al-Jokha. A quelques kilomètres de cet endroit, la police a réussi à trouver huit pièces archéologiques et 92 clous antiques sur le site de Tall Schmidt.

Fin août 2020, la police a confirmé qu’un citoyen avait restitué 165 pièces archéologiques au musée culturel de Nassiriya qui étaient en sa possession depuis plusieurs années. On pense qu’il était l’un des travailleurs ayant fouillé les sites archéologiques au cours des dernières années, car la police n’a révélé ni l’identité de la personne, ni la taille des pièces ou encore la valeur historique des pièces restituées.

À l’été 2003, la plus haute autorité religieuse chiite, le grand Ayatollah Ali al-Sistani, a émis une fatwa interdisant le vol d’antiquités et la fouille de sites archéologiques. Il a demandé que les pilleurs restituent les pièces volées aux musées et autorités compétentes. De nombreuses personnes qui ont trouvé dans le vol d’antiquités un moyen de gagner leur vie ont été incitées par cette fatwa à rendre les antiquités volées. Ainsi, il a clairement contribué à atténuer le phénomène de fouille des sites archéologiques. Néanmoins, certains gangs restent actifs dans ce domaine.

Gangs actifs

Selon le directeur de l’Inspection des antiquités de Dhi Qar, M. Taher Quinn, Tall Al-Jokha est le site archéologique qui a été victime du plus grand nombre de pillages, de vandalisme et de vols dans le gouvernorat depuis les années 90 jusqu’à aujourd’hui. « Le vandalisme a considérablement augmenté depuis l’année dernière, en particulier après que le gouvernorat ait été témoin de violentes manifestations, suivies du déclenchement de la pandémie de Coronavirus. À cette époque, les services de sécurité se sont concentrés sur ces problèmes majeurs et ont diminué leurs efforts de protection des sites archéologiques. Le site a alors de nouveau été le théâtre de pillages », a-t-il ajouté.

Mr. Quinn a expliqué : « Il existe plus de 1 200 sites archéologiques répartis dans le gouvernorat. Ces sites se caractérisent par leur grande surface et ne bénéficient pas d’une protection adéquate. Les gardes existants ne disposent pas d’armes, car elles sont interdites par le ministère de l’intérieur. Par conséquent, n’importe quel groupe armé peut entrer sur ces sites et les gardes ne peuvent pas les affronter.

Concernant le site de Tall Al-Jokha, le directeur de l’Inspection des Antiquités ne peut constater le manque de moyens: “Ici, le problème est exacerbé. Il n’y a que 14 gardes répartis sous forme d’équipes, mais la grande surface du site n’offre aucune commodité pour les gardes. Il est donc impossible d’être présent en permanence au cœur du site archéologique. Le nombre de gardiens n’est déjà pas suffisant et cela rend le site vulnérable au vol”.

En 2020, le Département des Antiquités et le Commandement de la Police Provinciale ont tenu une réunion élargie après des tentatives répétées de vol, de fouilles et de vandalisme des sites archéologiques. Monsieur Quinn a affirmé qu’il avait été convenu que la police des antiquités patrouillerait les sites archéologiques avec les gardes présents pour empêcher la contrebande d’antiquités une fois que les installations adéquates auraient été installées pour permettre le maintien des gardiens sur place.

De son coté, l’ancien ministre de la Culture et du Tourisme Abdul Amir Al-Hamdani a expliqué que depuis 2003, une force spéciale a été créée pour protéger les sites archéologiques : « Quelques 250 employés entraînés et équipés d’armes, de véhicules, de moyens de communication et de cartes surveillent les sites archéologiques. Ils effectuent des patrouilles de jour comme de nuit, installent des points de contrôle et collectent des informations sur les voleurs et les contrebandiers. Cette force est également habilitée à saisir des antiquités et à récupérer des artefacts volés auprès des receleurs. “

Cette unité de surveillance s’est ajoutée aux forces de protection opérant dans les établissements tels que les écoles, les hôpitaux, les services et les banques. Néanmoins, la plupart des sites archéologiques restent non protégés, à l’exception de quelques gardes civils déployés ici et là. « En outre, il existe de nombreux sites archéologiques situés loin des lieux habités », a conclu l’ancien ministre.

Malgré les efforts déployés par la police des antiquités et la police locale, selon le commentaire d’al-Hamdani, ils ne sont pas suffisants pour faire face au ciblage continu des antiquités, en particulier dans la région d’Al-Jokha et ses environs. Cette force doit être appuyée pour être en mesure d’effectuer des inspections de sites, des patrouilles de jour et de nuit et de suivre et de recueillir des informations sur les voleurs et les receleurs.

La plupart des sites archéologiques pillés sont des sites antiques datant de plusieurs millénaires. En plus des sites antiques présents à Dhi Qar, il existe plus de 400 sites archéologiques datant de l’époque islamique qui n’ont pas encore été fouillés. On s’attend à ce que ces sites contiennent des pièces archéologiques aussi importantes que les vestiges plus anciens.

Afin de protéger ce patrimoine inestimable,il serait sage que le gouvernement prenne enfin ses responsabilités et planifier sérieusement la reprise des fouilles et la protection des sites archéologiques du pays avant que les pilleurs de tombes ne les exploitent en premier.

ViaAlaa Koli