Sur notre planète il n’existe pas un pays dont la nature n’ait pas été soumise à des agressions. Les humains sont les auteurs et les témoins des dommages qu’ils infligent à la nature. Ils voient chaque année brûler et partir en fumée des forêts entières. Considérés comme les poumons de notre planète, les espaces verts ne cessent de se rétrécir, notamment sous l’effet des incendies. Ici, dans la Région du Kurdistan irakien, le constat est on ne peut plus tragique. Dans cette petite région du monde, les forêts et la végétation semblent condamnées à la destruction. Notre environnement naturel est détruit depuis ciel et à partir de la terre : la nature se meurt.

Bienvenue dans la Région des forêts qui brûlent !

La Région du Kurdistan fait partie de l’État irakien et se trouve au Nord du pays. A l’Est, elle partage ses frontières avec la République islamique d’Iran, au nord avec la Turquie. Sa superficie est de 38 000 km2. Selon le recensement de 1957, la Région du Kurdistan disposait de 5 millions d’hectares de forêts, or 70% de cette superficie ont été détruits. Les guerres successives, les dégâts causés par les mines antipersonnel et les armes, les attaques militaires provenant des territoires frontaliers, à partir de la Turquie et de l’Iran, sont les causes principales de cette destruction. A ceci s’ajoutent le réchauffement climatique et l’accroissement de la population qui accentuent la menace sur l’environnement de la Région.

La Turquie, une menace pour l’environnement naturel de la Région

Durant les dix dernières années, 1030000 hectares de forêt ont été touchés par des incendies dans la Région et 30% à 40% de ces sols incendiés ont été complètement détruits. D’après l’Agence régionale de protection de l’environnement (ARPE), 90 % de ces incendies sont d’origine politique ou criminelle. Ahmad Mohammed, porte-parole de l’ARPE, fustige les pays voisins qui mènent une politique hostile vis-à-vis de la Région du Kurdistan et qui aurait porté préjudice à l’environnement de la région. « Environ 35% des surfaces forestières ont été brûlées en raison des bombardements turcs et iraniens. Le reste des incendies sont d’origine criminelle et dans une moindre mesure dû aux négligences de promeneurs ou touristes. » Un autre responsable du GRK abonde en ce sens, considérant la guerre irako-iranienne comme la cause principale de la déforestation.  « A cause de cette guerre, dans les années 1980, la plupart des territoires frontaliers entre les deux pays ont été minés. Ces mines explosent souvent sous la chaleur intense de l’été,  au passage du bétails ou d’autres animaux, ce qui provoque des incendies dévastateurs dans nos forêts », nous explique Hussen Hama Karim, porte-parole du ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques du GRK. 

Duhok, une province meurtrie par les incendies 

Chaque année 50 à 60 cas d’incendies de forêts sont comptabilisés dans la région de Duhok (l’une des trois provinces du Kurdistan irakien). Duhok est situé à la frontière de la Turquie, la majorité de ces incendies sont provoqués par les bombardements d’avions et d’artillerie de l’armée turque qui mène une contre insurrection sanglante à l’encontre du PKK, le mouvement de guérilla kurde originaire de Turquie. Interrogé par Red line, Fahim Ebdullah, président du Conseil provincial explique que le taux de végétation de la province était très élevé auparavant, mais sous l’effet des bombardements et des attaques militaires les sols deviennent de plus en plus arides. Il dénonce également l’usage de bombes au phosphore. « Dans l’ensemble des régions frontalières la plupart des forêts ont été brûlées. Pire que les bombardements aériens, l’État turc utilise des bombes incendiaires, semblables aux bombes au phosphore blanc, destinées à provoquer de vastes abrasements à des fins de déforestation. » Selon Zagros Hiwa, porte-parole de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK), une organisation qui rassemble plusieurs mouvements inspirés par l’idéologie du PKK, les forêts ont été brûlées par l’armée turque  sur une longueur de 300 km et une profondeur de 20 km, depuis le massif de Haftanin jusqu’à celui de Khwakork dans les montagnes de la province de Duhok.

Les modes opératoires de la Turquie.

En sus des incendies, l’État turc a recours à d’autres méthodes de déforestation. L’armée turque procède systématiquement à l’abattage des arbres lors de ses opérations dans la Région en vue d’installer des bases et de construire des routes pour faciliter les déplacements de ses forces. Ce constat est aussi partagé par Kamaran Osman, membre d’une Antenne de Christian Peacemaker teams (CPT) installée Kurdistan irakien : « Dans le cadre des opérations “ Griffes du faucon“ et “Griffes du tigre“ lancées par la Turquie en 2020 depuis la ville de Roboski, au Kurdistan turc, jusqu’à Haftanin, l’armée turque a déboisé une surface de 12 km2 de forêts. De Haftanin jusqu’au village de Kachan, situé dans le district de Zakho, l’armée turque a abattu quasiment tous les arbres. Cette année, l’armée turque qui vient juste de prendre le contrôle du village de Kesta et, a procédé à l’abattage des arbres depuis le village de Nouzour. Ainsi, 300 à 400 tonnes d’arbres par jour ont été acheminées chaque vers la Turquie. Ces procédés s’étendent des régions de Tchali et Hakkari (villes kurdes situées en Turquie, NDLR) jusqu’au village de Doutaza à Zakho (Kurdistan irakien NDLR) où l’armée turque a également coupé de nombreux arbres. »

Des forêts exposées aux coups de haches 

En dehors des facteurs exogènes et géopolitiques évoqués ci-dessus, les forêts sont aussi exposées aux coupes illégales d’arbres destinées, sous forme de charbon de bois, aux besoins de consommations rurales ou domestiques. Pour enrayer le braconnage, le gouvernement de la Région a prévu des amendes pour les contrevenants. La loi n°8 de l’année 2008 relative à la protection de l’environnement dispose : « les dommages causés à un arbre, son arrachement, son abattage, ou encore sa destruction par le feu, sont passibles d’une amende allant de 25 milles à 100 milles dinars irakien ». Selon un recensement de l’Office régionale de la police des forêts et de l’environnement (ORPFE) et de l’Agence régionale de protection de l’environnement (ARPE) durant l’année 2020, 2796 arbres ont été abattus illégalement et 7310 arbres ont été brûlés. Durant cette même année, 1011 contrevenants auraient été arrêtés et traduits en justice. L’ORPFE dénombre déjà 1771 coupes d’arbres illicites pour les six premiers mois de l’année 2021. Le porte-parole du ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques précise que l’affouage (la coupe de bois à usage domestique et raisonnée) est permis : « les villageois peuvent, pour subvenir à leurs besoins, couper des branches mais non pas les arbres. »

La convoitise des promoteurs

Il y a un an, les beaux sapins devant l’entrée de la ville de Souleymanieh ont été brûlés. Pour les dévitaliser, de l’acide avait été versée sur leurs racines. Barzan Shaykh Mohammed, vice-Président du Conseil de la province de Soulaimaniah, renvoie la destruction de ces sapins à la convoitise de promoteurs « qui ont voulu détruire ces sapins qui gênaient leurs chantiers de construction. Pour que les logements qu’ils sont en train de construire soient exposés à la vue tous, ils ont détruit les sapins qui se trouvaient devant. Ils projetaient aussi de mettre la main sur ces terrains. Bien entendu, un grand responsable du parti était associé à ce projet de construction. » B. Shaykh Mohammed qui préside la commission d’enquête sur l’incendie de cette sapinière s’est opposé à ce projet : « Avec l’aide de certains nous avons pu arrêter ce projet de destruction, mais les agressions contre les forêts et les végétations se sont multipliées ces dernières années. » Désabusé, il ajoute que « les institutions concernées sont incapables de protéger la nature, ceci explique pourquoi certains osent s’en prendre aux arbres à des fins commerciales. » Au total, 200 sapins ont péri dont la moitié avait complètement dépéri. À la suite de cet acte malveillant, une campagne de reboisement a été organisée afin de replanter environ 2000 arbres au même endroit, mais faute de système d’irrigation, ces arbres ont séchés. Interrogé par Red Line, Marif Majid, président de l’association Ainda », dédiée aux questions environnementales, déclare : « Notre association à elle seule a pu replanter une centaine d’arbres à la place des sapins brûlés, mais ils ont séché faute d’arrosage. »  M. Majid est également membre du Conseil des associations environnementales de la province de Soulaimaniah déplore les attaques récurrentes contre la nature. « Cela ne se passe pas seulement ici, une partie des forêts à Gweyija, Penjwen, Tchamtchamal ont été rasées pour construire des logements. On observe cela partout dans la Région, mais le Gouvernement régional n’arrête personne. »

Dans la Région du Kurdistan il y a nombre de lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement et des forêts, pourtant la transformation des terres agricoles et des forêts en zones constructibles dédiés aux logements et aux aménagements commerciaux se poursuit. Selon porte-parole de l’APRE, « en vertu de règlement n°1 de l’année 2013, les terrains affectés aux constructions et aménagements doivent au préalable avoir perdu leur caractère de zone agricole. Faute de quoi, les constructions n’y sont pas autorisées. Nous avons déjà appelé les promoteurs aux respects des règles relatives à la protection de l’environnement. » H. H. Karim, porte-parole du ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques, confirme cette dérive : « la multiplication des terrains constructibles a eu un effet néfaste sur les forêts dont le nombre se réduit sans cesse. Nous poursuivrons ceux qui transforment sans autorisation les terres agricoles en terrains constructibles. »

Les villes aspirent à plus de verdure

Selon un recensement du ministère des Municipalités et du Tourisme du GRK, il existe à l’échelle de la Région 1200 parcs, jardins, espaces verts… Kordo Chaban, le porte-parole du ministère en question, considère que le taux de verdure dans les villes est médiocre. Son ministère a pour projet d’augmenter la végétation dans les villes : « la construction d’une ceinture verte autour d’Erbil et le verdissement de la ville de Souleymanieh font partie de ce programme. Cette année le gouvernement a consacré 5,7 milliards de dinars pour l’entretien des espaces verts et la végétalisation de la ville de Souleymanieh. » 

Chaque année au début du mois de juin débute l’arrosage des parcs et jardins de Souleymanieh. Or, jusqu’à présent rien n’a été fait. Cet arrosage devrait démarrer à partir de la mi-août. D’après les informations que nous avons recueillies, en raison de ce retard, 300 milles m2 de pelouses et de végétation se sont complètement asséchés. Selon Kamaran Hama Salih, directeur général des parcs et jardins de la Ville, interrogé par Red Line « de juin à octobre nous avons besoin de 4 millions de litres d’eau par jour pour pouvoir arroser les parcs, les jardins, les plantes de grands boulevards. Or jusqu’à maintenant nous n’avons pas encore commencé l’arrosage. Ce retard pourrait causer le dessèchement de 3 milles arbres. Le gouvernement de la Région a décidé de verser 700 millions de dinars pour l’entretien des espaces verts mais ce plan d’aide n’a pas encore été versé. Jusqu’en 2014 nous avions à notre disposition un budget de 3 milliards de dinars pour acheter ce dont nous avions besoin et faire avancer nos projets, mais après 2014 notre budget a été réduit à 120 millions de dinars par an. », ajoute-il.

En revanche, Erbil n’a pas ce type de problème, l’arrosage des espaces verts débute dès le mois d’avril. Le manque d’eau et le retard que connaît Soulaimania ne date pas de cette année : il s’agit d’un problème récurrent depuis 5 ans. Entre 2016 et 2017, 2000 arbres se sont complètement desséchés. Pour Marf Majid, ce bilan est lié aux lenteurs et blocages administratifs qui paralysent les institutions de la Région. Les problèmes d’arrosage des espaces verts jardins de Souleymanieh se produisent chaque année. « Il faudrait anticiper les choses, en adressant dès le mois de février une demande de financement au ministère des Municipalités, qui met généralement plusieurs mois à répondre. Le GRK verse un budget aux municipalités mais ces dernières doivent obtenir l’autorisation des membres du gouvernement pour pouvoir flécher et dépenser ce budget. « Je ne vois pas pourquoi il faudrait attendre l’aval du Premier ministre, du Vice premier ministre ou encore du ministre des Finances pour dépenser ce budget. Ce problème est lié à l’absence d’un système admiratif déconcentré selon Marf Majid qui fustige  les clivages politiques, les défaillances de l’administration locale et l’absence d’une politique gouvernementale en faveur de l’environnement qui génèrent ces problèmes. ». 

Personne ne se soucie de l’environnement de la Région

La Région est exposée aux incendies de forêts et à la pénurie d’eau à cela s’ajoute l’existence d’un parc automobile de 1 860 0000 voitures, l’exploitation de 172 gisements pétroliers et de 5500 générateurs d’électricité qui sont autant de facteurs qui contribuent à la dégradation de l’environnement naturel du Kurdistan s’alarme Hussen Hama Karim. « J’ai à plusieurs reprises alerté les autorités sur le phénomène de désertification de certains territoires, je pense notamment aux plaines de Qaraj, de Gwer et de Makhmour dans la province d’Erbil, et la région de Garmyan dans la province de Soulaimani. » Ahmad Mohammed, porte-parole de l’ARPE s’inquiète de la qualité de l’air : « On ne connaît pas encore la quantité de CO2 et de gaz toxiques dans l’air de la Région. Nous avons recueilli un certain nombre de données que nous avons remises à une organisation européenne afin qu’elle les vérifie via des images satellitaires. C’est un projet en cours précise-t-il, en faisant remarquer que l’Irak est signataire de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 qui engage l’État à réduire les émissions de gaz à effets de serre dans l’air pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C ».

 Le GRK, des moyens limités   

Hussen Hama Karim évoque trois plans mis en place par son ministère pour accroître le taux de verdure et étendre les forêts de la Région. « Jusqu’à 2014, le ministère des Municipalités poursuivait trois objectifs : la protection des forêts existantes, la production de plantes et leur distribution aux citoyens et l’extension ou la création d’espaces verts et forêts plantées. Mais depuis 2014 notre mission se limite à une chose : la gestion et la protection ce qui a déjà été mis en place. » Le président du Conseil de la province de Dohuk reconnaît que la plupart des terrains devant être transformés en parcs sont restés à l’état de friche faute de budget. Malgré les difficultés, Ahmad Mohammed, porte-parole de l’ARPE, ne désespère pas et appelle de ses vœux une augmentation du taux de verdure autour de 30% dans les prochaines années.