Contrairement à une image répandue de paradis naturel, la région autonome du Kurdistan irakien abrite des populations relativement faibles d’animaux sauvages. Cela tient au fait que  la plupart des espèces de la région sont exposées à la chasse et menacées d’extinction. Les associations de défense de l’environnement et les citoyens soucieux de la préservation de la nature mènent ensemble des actions pour protéger ces animaux et favoriser leur reproduction. Le Gouvernement régional a également adopté un certain nombre de lois et de règlements pour encadrer la chasse et protéger les populations animales. Mais les inventaires permettant d’évaluer le nombre et les variétés d’espèces d’oiseaux et d’animaux vivant dans la région du Kurdistan restent très approximatives. Les recensements font état de la présence de perdrix, lièvres, gazelles, chèvres sauvages, chacal, loups, ours, sangliers, panthères. Parmi les 900 gazelles recensées dans la Région 300 se trouveraient dans le territoire de Qaradagh où deux panthères ont également été aperçus. 

Qui sont les chasseurs ? 

Selon un recensement de l’Office régional de la police des forêts et de l’environnement (ORPFE) 838 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint les règles et lois environnementales en 2020. Des enquêtes judiciaires ont été diligentées à l’encontre de 233 d’entre eux ; 98 armes à feu et 192 pièges ont été confisqués. Certains de ces contrevenants considèrent la chasse comme un divertissement, tandis que d’autres la font à des fins commerciales.   

Sarwar Qaradaghi est le coprésident de l’Association de protection de l’environnement du Kurdistan (APEK). Interrogé par The Red line sur l’impact dévastateur de la chasse sur la vie sauvage, il pointe du doigt des responsables politiques. « Ceux qui chassent sont des responsables politiques ou gouvernementaux ou bien des gens liés à ces derniers ; un citoyen ordinaire ne pourrait pas chasser en plein jour ». Abondant dans le même sens Fuad Ahmad, un responsable de la Police des forêts souligne que « 80% des personnes qui chassent sont des personnes haut placées. » Cela étant, depuis sept ans la chasse a diminué ce qui tient, selon F. Ahmad, à une prise de conscience des citoyens qui sont mieux informés sur les périodes et les modalités de la chasse mise en place. « Autrefois, un chasseur pouvait abattre une dizaine de perdrix au cours d’une sortie, aujourd’hui elle se limite à deux. Avec les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur ainsi que l’Agence régionale de protection de l’environnement nous avons pour objectif de réorganiser et encadrer les modalités de la chasse. »

L’article 33 de la Constitution irakienne prévoit la protection des oiseaux et des animaux sauvages. Par ailleurs, dans son règlement n° 1 de l’année 2015, l’Agence régionale de protection de l’environnement (ARPE) édicte les conditions de la chasse et les périodes et les techniques autorisées. Ahmad Mohammed, porte-parole de l’ARPE, déclare que l’Agence a pour mission de favoriser l’accroissement et la diversité des populations animales : « Nous avons conditionné la chasse en général et interdit la chasse des espèces vulnérables, rares ou en voie d’extinction. ». Mais est-ce bien suffisant?

Une pratique chaotique de la chasse

Un recensement de l’ORPFE explique que 377 animaux, vivants ou morts, ont été saisis en 2020. Certains avaient été abattus, mais les animaux vivants ont été relâchés dans la nature par les agents de la Police des Forêts. Bakhtyar Qadr, président de l’Association de défense des droits des animaux (ADDA), estime que les chasseurs n’obéissent à aucune règle au Kurdistan irakien : « Dès qu’ils aperçoivent un animal, ils lui tirent dessus. Ils ne font pas de distinction entre les espèces de gibiers. » Il évoque la présence d’une espèce passereau (chanteur), rare au Kurdistan, appelé « Boukasour » (littéralement, « Épouse-rouge » = Chardonneret), qui est en voie de disparition, faisant l’objet d’une chasse intensive pour être vendue au marché. Il se réjouit toutefois que la police ait finalement réagi en arrêtant les personnes impliquées dans ces trafics mais déplore les menaces qui pèsent sur une espèce de faucon de la Région, très convoitée par des acheteurs étrangers qui déboursent de grosses sommes d’argent pour se les approprier.

La région de Garmyan est connue pour abriter un nombre considérable d’oiseaux et d’animaux sauvages, ce qui en fait le terrain de chasse privilégié des braconniers de la Région selon Sarwar Qaradaghi. En général, toutes les espèces d’oiseaux et d’animaux sont ciblées, mais les chèvres sauvages, les gazelles, les perdrix et les francolins sont les populations les plus touchées. « J’ai même déjà vu que des ours et des panthères avaient été abattus, s’exclame le directeur de l’APEK, précisant que les gibiers sont vendus et écoulés dans le marché local, certains restaurants cuisinant exclusivement du gibier. » Interrogé par The Red line, le directeur de la communication de l’ORPFE, Mr. Hemin Kamarkhan, déclare que leurs forces ont déjà saisi à plusieurs reprises au marché des trafiquants d’animaux.

Les associations de chasseurs

Au Kurdistan irakien il y a de nombreuses associations de chasseurs. Elles ont d’ailleurs leur propre règlement intérieur. Pour Diler Ebdullah qui pratique la chasse depuis 35 ans, se défaire de cette passion serait impossible. Diler n’est plus affilié à une association de chasseurs, mais il continue de chasser seul quoiqu’il avoue de ne plus avoir la même énergie qu’auparavant. Il se confie avec franchise sur son expérience de la chasse à Red line : « Je chasse depuis 35 ans. J’ai chassé de nombreux animaux sauvages. Auparavant je chassais les gazelles, mais maintenant je ne le fais plus car c’est interdit et passible d’une amende. Je regrette de les avoir chassées par le passé. Maintenant, je me contente de chasser les pigeons. J’en abats deux à trois par jour et je rentre ensuite chez moi. » Diler regrette que le Gouvernement régional ait complètement interdit la chasse : « Auparavant, au sein de notre association, nous avions un règlement intérieur qui interdisait la chasse en temps de reproduction des animaux. Dans l’année, nous chassions quelques animaux et nous épargnions les autres. L’interdiction de la chasse est excessive. » 

Le règlement n°1 de l’année 2015 prévoit des amendes contre ceux qui chassent les animaux sauvages. Celles-ci varient selon le type d’animaux chassés et vont de 100 milles dinars à 10 millions de dinars (67 à 6700 dollars américains). Les associations pour la protection de l’environnement reprochent au gouvernement régional d’être laxiste dans la condamnation des chasseurs. « Parfois des chèvres sauvages en gestation sont abattus à Garmyan. Pourtant, le chasseur mis en cause n’a écopé que d’une amende de 25 milles dinars au lieu de 30 millions de dinars et a été relâché sans confiscation de son matériel de chasse et sans condamnation de prison. » regrette S. Qaradaghi, qui ajoute que la police des forêts relâche les chasseurs en infraction en raison des pressions politiques. Pour Fuad Ahmad, la loi doit s’appliquer à tous : « Souvent, il arrive que le chasseur arrêté soit un officier des forces Peshmerga ou un haut fonctionnaire… nul ne sait ce que devient ensuite leur affaire au tribunal ». F. Ahmad soupçonne des interventions pour faire libérer ceux qui sont en infraction. 

La sécheresse, autre péril pour les animaux

La chasse n’est pas le seul fléau qui menace la faune du Kurdistan, la sécheresse met également en péril l’écosystème de la Région. Depuis quelques années les associations pour la protection de l’environnement et la population locale sensibles à la cause animale s’organisent pour lutter contre la pénurie d’eau. ADDA, l’association pour laquelle travaille Bakhtyar Qadr est une organisation non gouvernementale de volontaires qui, depuis plusieurs années, organise le ravitaillement en eau des animaux sauvages des régions montagneuses via des camions-citernes. « Notre association approvisionne les animaux en eaux durant l’été, et en nourritures en hivers afin d’enrayer leur disparition. » B. Qadr rapporte que l’année précédente des chasseurs avaient injecté des produits stupéfiants dans les citernes à eau pour pouvoir abattre plus facilement les animaux rendus ainsi ivres et les vendre sur le marché.

Les chasseurs n’épargnent ni la police ni les associations de protection 

Après avoir dénoncé l’abattage d’un animal en gestation, Sarwar Qaradaghi se voit condamner à 15 jours de prison. « Une chèvre sauvage en gestation avait été tuée, j’ai fait un poste sur Facebook pour dénoncer cet acte. Le chasseur en question, un officier du ministère de l’Intérieur, a porté plainte contre moi. Du coup, j’ai été arrêté et emprisonné. » Rebaz Rahman, pourtant lui-même officier de la Police des forêts et de l’environnement, nous relate son expérience malheureuse : « Vers minuit, lors de ma ronde sur mon lieu, je me suis fait admonester par 14 personnes dont la plupart étaient des officiers de la Police qui étaient armés pour la chasse. Ils m’ont agressé et blessé. J’ai tenté de porter plainte, mais seuls deux d’entre eux ont été arrêtés puis relâchés très vite. » 

Sans doute, R. Rahman n’est pas la seule victime de ces méfaits. Nombreux sont ceux qui ont fait l’objet d’agressions physiques de la part des chasseurs. « Cette année un officier de la Police des forêts a été blessé par cinq chasseurs qui venaient d’abattre une chèvre sauvage, nous confie S. Qamarkhan, en principe, l’affaire devrait faire l’objet d’une enquête judiciaire. ».   

Les associations veulent des espaces naturels protégés

Les associations pour la protection de l’environnement ont demandé au Gouvernement régional de définir 45 territoires en tant que réserves protégées. Or rien n’a été fait en ce sens jusqu’à présent. Cela étant, des initiatives citoyennes se multiplient sur certains territoires. Dans la province d’Erbil, Zourgazraw et Sakran sont des zones protégées. Mais selon Bakhtyar Qadr il s’agit de zones indéterminées, sans statut juridique, puisqu’elles ne sont pas clôturées et ne sont dotées d’aucun moyen matériel (vidéosurveillance) ou humain (policiers, agents) de surveillance.

Dans la région de Qaradagh, située dans la province de Soulaimanyah, une surface protégée de 100 km2, clôturée par des fils de fer barbelés, a été créée à l’initiative de Dler Shaykh Mustafa, une figure locale. De sorte que dans la région de Qaradagh, sur un territoire comprenant 22 villages, la chasse a été strictement bannie. Interrogé sur cette initiative, D. Shaykh Mustafa nous explique que ce projet remonte à 1995.  « D’abord, il a fallu sensibiliser la population sur l’importance de la faune, ensuite nous avons mis en place une police chargée de faire respecter l’interdiction de la chasse et de confisquer si nécessaire le matériel de chasse de tout contrevenant. » La chasse a pratiquement cessé sur le territoire en question qui s’est doté de caméras de surveillance et d’un un corps de policier chargé de la protection de la faune « Nos efforts ont porté leurs fruits, se réjouit D. S. Mustafa, la population animale a commencé à s’accroître tout le long du massif, même des panthères auraient été aperçus »

Le Kurdistan irakien compte deux autres territoires protégés de la chasse, la région de Barzan dans la province d’Erbil et la région de Medya (territoire dénommé « Parastina Herêma Medya » sous contrôle du PKK, NDLR). La région de Barzan est devenue l’espace naturel le mieux préservé du pays où l’on observe un développement de la faune. Pour ce qui est des territoires sous contrôle du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), aucune sorte de chasse n’y est autorisée. En revanche, dans ces territoires la faune et la flore sont confrontés à une autre menace et non des moindres : les bombardements intempestifs de l’aviation turque qui depuis les 15 dernières années ont causé de nombreux feux de forêts et la disparition de dizaines de milliers d’animaux. 

ViaRanj Osman