Beaucoup d’Irakiennes pratiquent la reconstruction d’hymen par chirurgie. Cela est du à des traditions sociales strictes qui exigent que les femmes gardent leur “trésor” intact jusqu’au mariage. En un sens, ce phénomène met en lumière la schizophrénie de la société irakienne qui associe la chasteté et l’hymen de la femme à l’honneur et la dignité de toute sa famille.

Cette fine membrane, le « talisman » que les jeunes femmes doivent exhiber devant leur nouveau mari, est la « marque » de leur chasteté, de leur pureté et une preuve qu’elle sont parvenues à se protéger de tout comportement sexuel « illégal », jusqu’à leur mariage.

La virginité est une ligne rouge dans la société irakienne autour de laquelle de nombreux mythes sont tissés. C’est un sujet riche sur lequel des hommes et des femmes fantasment avec voracité même s’ils se passent d’une approche scientifique claire.

Réparer l’honneur de la famille

Un pharmacien du nom d’Ahmed al-Qaisi a expliqué à The Red Line comment le business de la chirurgie de l’hymen s’est développé autour du besoin des femmes de protéger leur “dignité”: « Le personnel de l’hôpital reçoit régulièrement des femmes avant leur mariage. Elles espèrent se protéger de toute accusation concernant leur virginité. Certains membres du personnel médical conduisent ensuite les jeunes femmes à un médecin qui coud un hymen artificiel un jour ou deux avant leur mariage » . Cette activité lucrative pour les médecins, mais illégale car non encadrée, donne également lieu à de l’exploitation sexuelle et financière des demandeuses en échange de l’opération.

Israa, une femme de 30 ans, fait partie de celles qui ont subi cette opération chirurgicale suite à une rupture de l’hymen après un accident de cheval. Elle est par la suite devenue la cible d’accusations concernant sa virginité : « J’ai été rejetée par l’homme que j’aimais alors que je lui ai fourni un rapport médical prouvant que mon hymen avait été brisé lors de mon accident ». En détresse, la jeune femme a estimé qu’elle n’avait d’autre solution que de recourir à l’aide d’un médecin afin de pouvoir épouser un autre homme un jour.

Le rapiéçage de l’hymen ne doit pas être considéré comme un stratagème pour tromper les hommes. Les femmes qui le pratiquent veulent avant tout sauver leur vie: « Personne ne veut être trompée. La société nous oblige à le faire. Et si nous sommes victimes un jour, personne ne nous pardonnera même si nous avons ne commis aucun crime. Quiconque n’a pas d’hymen est soit laissée sans mariage par crainte d’un scandale, soit a recours à une opération chirurgicale. », nous affirme Israa.

Selon la Commission irakienne des droits de l’Homme, en 2020, plus de 75 % des filles qui ont été tuées dans le pays auraient commis un suicide d’honneur, ce qui signifie qu’elles se sont suicidées pour éviter de faire honte à leurs familles ou ont été tuées par ces dernières avant d’être déclarées mortes par suicide. Une membre de la Commission, Mme. Faten Al-Halfi explique que « la plupart des femmes tuées par des crimes d’honneur sont classées dans la catégorie des suicides. Les proches de ces victimes justifient leurs crimes en se persuadant que la femme qu’ils ont assassiné a commis un acte déshonorant et méritait de mourir. Ainsi, lorsqu’ils sont sollicités par les autorités, les proches se mettent d’accord sur leur version et n’hésitent pas à déclarer que leur victime s’est suicidée et qu’elles n’a pas été tuée”, une version que la police n’a souvent aucun moyen de contester.

La loi justifie le crime d’honneur

Ibtihal est l’une des victimes d’un crime d’honneur. Son frère Faisal l’a tuée dans le gouvernorat de Karbala alors qu’elle avait 33 ans. Le mari d’Ibtihal venait de découvrir qu’elle n’était pas vierge la nuit de noces. Sa mère a partagé son souvenir des événements avec The Red Line : « Je me souviens qu’on a frappé la porte de la maison toute la nuit. Le mari d’Ibtihal l’a amenée, toujours vêtue de ses vêtements de maison, l’a traînée par les cheveux, et a fait un scandale devant nous et tout le quartier.”

Faisal a poignardé sa sœur avec un couteau jusqu’à ce qu’elle meure. “Faisal a été emprisonné pendant un an, avant d’etre libéré car je lui ai trouvé un avocat qui a prouvé que ce qu’il avait fait était un crime d’honneur. Je ne pouvais pas perdre mon fils et ma fille. Ce mariage était une malédiction pour nous”, a-t-elle expliqué.

En effet, la loi irakienne atténue un crime s’il est prouvé qu’il est motivé par des questions d’honneur. L’avocat Ali Salam a déclaré à The Red Line que selon la loi irakienne, une personne condamnée pour un crime d’honneur peut voir sa peine réduite à 3 ans de prison, soulignant que “cette sanction encourage malheureusement les criminels”.

Des différentes techniques de chirurgie l’hymen

Abu Mustafa travaille comme assistant médical à l’hôpital Al-Karama. Il est également intermédiaire entre plusieurs médecins et infirmières effectuant ce type d’opération. Il a expliqué à The Red Line comment il joue son rôle d’intermédiaire auprès de femmes en quête de dignité: “Beaucoup de filles ont eu des accidents qui leur ont fait rompre leur hymen… Je les aide à obtenir une opération pour éviter toute conséquence néfaste “.

Continuant, Abu Mustafa explique qu’il existe de nombreux cas de femmes se rendant à l’hôpital quelques jours avant le mariage, craignant que leurs secret ne soit exposé le soir de leur mariage ».

Selon l’assistant médical, il existe deux manières de réaliser ces opérations. L’une d’elle est aisée et superficielle tandis que l’autre est plus sophistiquée, mais plus douloureuse. « Le premier processus consiste à implanter une fine couche de chair dans la zone de la membrane rompue, mais cette méthode est facile à repérer, et nous devons l’effectuer juste un jour avant le mariage car la nouvelle membrane fondra ou se déchirera facilement. »

L’opération décrite par Abu Mustafa peut tromper les hommes peu familiers avec la physiologie des femmes : “Cette méthode est facile à découvrir par n’importe qui, mais quelqu’un qui ne connaît pas le corps des femmes ne peut pas remarquer les effets de l’opération.”

Concernant la deuxième méthode, Abu Mustafa nous mentionne qu’on la surnomme la technique de la « pelure d’oignon ». Il explique: “Il s’agit de couper une tranche de peau là où l’hymen est rompu, puis un mince morceau de peau est replacé pour fermer la zone tel que l’hymen existait avant sa rupture. On réalise cette opération en cousant cette fine épaisseur avec un fil ne dépassant pas 1 cm de longueur. Ce processus provoque une douleur terrible après que les effets de l’anesthésique se soient dissipés”.

La deuxième méthode doit être effectuée au plus tard deux jours avant le mariage, car le mince morceau de peau s’endommage rapidement avec le temps. Abu Mustafa précise qu’il existe une différence de prix entre ces deux méthodes: « La première méthode coûte entre 250 000 dinars irakiens et 500 000 (150 à 320 euros), alors que La méthode de la pelure d’oignon coûte 1.5 million de dinars irakiens (plus de 850 euros), car elle est plus professionnelle et plus difficile à découvrir », note-t-il.

Les médecins pratiquant ces opérations sont connus pour être opportunistes. En effet, certains chirurgiens augmentent leurs tarifs en fonction de la détresse de de leurs clientes : « si la fille a peur et s’inquiète, le prix de l’opération augmente. La vérité est que ces femmes sont littéralement exploitées », admet Abu Mustafa.

Bidonvilles et virginité

Dans les bidonvilles d’Irak, le pourcentage de femmes pratiquant des chirurgies vaginale est élevé. Umm Kazem, une sage-femme de 65 ans, travaille à Al-Ma’amal, un des bidonvilles de Bagdad. Elle décrit à The Red Line comment la détresse de femmes soucieuses de se prémunir d’un crime d’honneur suite à la perte de leur virginité est un véritable fléau.

« Je suis ici depuis mon enfance, et dès l’âge adulte, , je suis devenue sage-femme après l’obtention de mon certificat d’infirmière. Beaucoup de filles de cette région passent me voir. Elles ont généralement eu dans des relations hors-mariage. Ce qui les oblige à réaliser une opération pour couvrir leur passé. »

Un médiateur met généralement Umm Kazem en contact avec des filles qui demandent de l’aide mais qui sont originaires d’autres quartiers. Muhsin al-Akaili, affilié à l’une des milices armées, est l’un d’entre eux. L’homme est propriétaire d’une organisation de société civile et travaille souvent comme médiateur entre les femmes de la haute société qui souhaitent consulter Umm Kazem pour réaliser ces opérations. Il a déclaré à The Red Line que le nombre de femmes des quartiers huppés de Bagdad (comme Zayouna, Al-Mansour et Al-Jama’a) qui effectuent ces opérations est beaucoup plus élevé que le nombre de femmes issues des bidonvilles.

M. Al-Akaili a également souligné qu’Umm Kazem est particulièrement habile, effectuant des opérations au point que les femmes ressentent un vrai sentiment de virginité renouvelé : « De ce que me disent ses clientes, il est très difficile de découvrir les marques de l’opération. » déclare-t-il. Le médiateur a également souligné que l’opération d’Umm Kazem pouvait coûter jusqu’à deux millions de dinars irakiens.

Le ministère de la Santé contrôle périodiquement les médecins, que ce soit dans les hôpitaux ou dans les cliniques privées. Saif Al-Badr, porte-parole du ministère irakien de la Santé, a déclaré à The Red Line que les bureaux de surveillance du ministère suivent et surveillent leurs cadres, s’efforçant d’imposer des sanctions strictes à quiconque viole le serment médical qu’ils prêtent avant d’exercer leur profession.

M. Al-Badr a souligné qu’il existe une coopération entre les ministères de l’Intérieur et de la Santé afin de lutter contre ces activités illégales, en raison des abus potentiels auxquels les femmes pourraient être soumises. “Nous devons également souligner que la plupart des femmes sont obligées de recourir à de telles opérations en raison des crimes de honte et de la réalité tribale qui règne dans de larges segments de la société irakienne”, ajoute le porte-parole.

La militante Ansam Salman est une représentante du Réseau des femmes irakiennes. Dans son interview avec The Red Line, elle a abordé la question de la chirurgie de l’hymen en Irak. “Malheureusement, la société irakienne pousse les autres à commettre des actions illégales. Par conséquent, les femmes sont poussées à contacter des médecins afin d’effectuer une reconstruction de l’hymen”. Selon elle, ces opérations violent la loi, en plus d’être controversées sur le plan moral : « Elles poussent les femmes à commencer leur vie conjugale par le mensonge et la tromperie ».

L’hymen représente un symbole de virginité, d’honneur et de chasteté pour les femmes dans la société irakienne. Alors que les hymens ont des formes différentes et se brisent parfois en dehors des rapports sexuels, les femmes ont recours à des opérations chirurgicales par peur des crimes d’honneur. Ce type de violence patriarcale vient de l’ignorance des gens. Après 2003, année où les États-Unis ont mené une opération militaire pour renverser Saddam Hussein du pouvoir, les crimes d’honneur ont fortement augmenté en raison du chaos qui a suivi et d’un regain de conservatisme au sein de la société irakienne. Ces dernières années, ces crimes se sont encore intensifiés.

ViaShafaq Abdul Elah