Garmian est un sous-district de la province de Sulaymaniyah et est par définition sous le contrôle du parti de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), dirigé par la famille Talabani depuis sa création en 1975. Ce sous-district est l’une des rares zones de la région du Kurdistan d’Irak (KRG) à contenir des champs pétrolifères. Comme tous les cantons de province de Suleymanyeh, Garmian est sous la coupe de cadres politico-militaires de l’UPK, dont Mahmood Sangawi, Adnan Hameimina et Ali Shahid Muhamad. Ces derniers ont longtemps joué un rôle décisif dans l’attribution des concessions pétrolières et ont également pris soin de profiter des dividendes produits par plusieurs compagnies locales d’exploitation des hydrocarbures. 

Zone frontalière entre la région autonome du Kurdistan irakien et les provinces fédérales et attenante aux fameux territoires contestés définis par la constitution irakienne, le district de Garmian reste une région instable où des tensions persistent entre contingents kurdes (Peshmergas), forces fédérales et milices chiites. Pour ajouter à cela, l’absence de coordination des opérations militaires pour lutter contre le terrorisme a permis à des cellules islamistes de continuer à opérer dans la zone, notamment aux alentours de Kifri. Sans surprise, ces problèmes sécuritaires affectent la production pétrolière, en sus de bien d’autres problèmes.

Cet article retrace l’évolution de la gestion de ces champs pétroliers tout en fournissant des éléments techniques concernant l’exploitation des champs pétroliers de Garmian. Il a pour but de mettre en lumière la façon dont les blocs (les secteurs d’exploitation délimités par les accords économiques) sont gérés par les compagnies pétrolières, tout en expliquant la lutte entre les pouvoirs locaux et provinciaux pour le contrôle de cette ressource.

Dans la région de Garmian, il existe neuf blocs pétroliers supervisés par différentes compagnies. Cette région a une curieuse particularité : lorsque les infrastructures de forage atteignent le pétrole, les puits sont souvent fermés et abandonnés. Jusqu’à présent, ni le gouvernement ni les sociétés de forage n’ont donné de raison à ce phénomène. 

Jusqu’à présent, seuls deux blocs pétroliers ont été exploités. Néanmoins, nous expliquerons que quatre blocs pétroliers ont été forés jusqu’à présent à Garmian. Les compagnies pétrolières internationales russe Gazprom et turque Petoil (dans le champ nommé Chia Surkh-12) opèrent. Les deux champs produisent au total plus de 20 000 barils de pétrole par jour.

Le bloc Kurdamir

L’un des blocs est le bloc Kurdamir, au sud du district de Sangaw et au nord de la ville de Kalar. Selon les rapports de Scotia Capital, ses réserves de pétrole brut avoisinent les 5 139 millions de barils de pétrole. On y trouve quatre puits, dont deux contiennent du pétrole, tandis que les deux autres contiennent du gaz, estimé à environ un 283 millions de mètres cubes.

Au départ, ce bloc était exploité par la société canadienne Talisman Energy Inc, puis, en raison de certains conflits, il a été vendu à la société espagnole Repsol. Actuellement, le bloc pétrolier comprend quatre champs pétroliers, dont un a atteint le pétrole et a été testé, extrayant trois à cinq mille barils de pétrole brut par jour. Cependant, sa production a été mise en attente par la suite.

Les champs pétrolifères sont les suivants :

K-1 et K-3 (Kurdamir 1 et 3), également connus sous le nom de Kurdamir Ahmad.

K-4 (Kurdamir 4) également connu sous le nom de Kurdamir Faqe Hussein.

K-2 (Kurdameera 2) : également connu sous le nom de Kurdamir Hamai Sleman. Il a été testé et trois à cinq mille barils de pétrole en sont extraits quotidiennement.

K-1 contient plus de gaz que de pétrole, ce qui rend impossible d’en extraire les hydrocarbures pour le moment. Simultanément, K-3 contient plus d’eau que de pétrole, ce qui est également problématique et empêche l’extraction de pétrole à ce stade, comme nous l’analyserons plus bas. K-4 n’a été scanné que jusqu’à présent et aucun accord n’a été conclu avec le ministère des Ressources naturelles pour permettre le forage d’un puits de pétrole. Par conséquent, il a pour le moment été abandonné.

À la fin de l’année 2021 et jusqu’au début de l’année 2022, la compagnie pétrolière canadienne Western Zagros a repris ses activités dans les puits K-4 et K-5; leurs efforts ont cependant été vains et ils ont rapidement arrêté leurs opérations. Selon certaines sources, la raison du retrait de la société canadienne est due aux pressions exercées par les tribunaux irakiens et fédéraux, car les sociétés internationales sont toujours légalement tenues d’obtenir une licence du gouvernement fédéral irakien pour travailler dans le KRG.

Le bloc Chia Surkh

Ce bloc compte neuf anciens puits de pétrole dont trois nouveaux. La première exploitation dans ce bloc a eu lieu en 1902 et a été menée par une société irano-anglaise. Les anciens puits de pétrole existent encore aujourd’hui. L’un d’entre eux est encore en excellent état : le puits de pétrole numéro sept. C’est également pour cette raison que la nouvelle compagnie, Genel Energy, a récemment creusé un nouveau puits à côté de celui-ci.

Genel Energy a foré deux nouveaux puits de pétrole, les numéros 10 et 11, qui ont tous deux fourni de grandes quantités de naphte. Un troisième, le numéro 12, a été foré par la société turque Petoil. Le puits a été achevé en 2016 malgré de nombreux incidents techniques: par trois fois, les installations de forage se sont effondrées avant qu’elles n’atteignent les nappes de pétrole.

Actuellement, ce champ pétrolifère est en activité, et trois mille barils de pétrole en sont extraits quotidiennement. Le faible nombre d’extractions est dû au fait que la ressource pétrolière est mélangée à de l’eau pour engendrer une pression et enclencher la remontée du pétrole dans le sous-sol. Or, pour chaque volume de pétrole produit, l’équivalent d’un camion d’eau est également extrait, qu’il faut ensuite dissocier des hydrocarbures, compliquant sérieusement la tâche et ajoutant des coûts considérables à la production.

Le champs Sarqalla dans le district de Kifri

Gazprom exploite quant à elle quatre champs dans le district de Sarqalla, classés de 1 à 4.

Jusqu’au début de cette année, Gazprom en extrayait chaque jour plus de 25 000 barils. Cependant, au cours des trois derniers mois, et parce que l’eau s’est mélangée au pétrole dans les puits 3 et 4, l’extraction a diminué à 16 mille barils par jour.

Selon une source proche de Gazprom, 35% du volume extrait par la compagnie est constitué d’eau, ce qui a provoqué la réduction de la production.

À l’heure actuelle, la société russe est occupée à forer le puits de pétrole numéro 5. Jusqu’à présent, ils ont foré une profondeur de 2300 mètres, et il est prévu d’atteindre le pétrole après 4000 mètres. Gazprom avait acheté au milieu de l’année 2015 ce bloc à la société canadienne Western Zagros.

Enjeux économiques et environnementaux

Il est difficile aujourd’hui d’obtenir des données fiables sur la quantité de pétrole brut et de gaz produit à Garmian. Les statistiques officielles sont soit obsolètes ou bien n’ont tout simplement pas été publiées. Selon le Dr Ghalib Muhammed, expert en analyse pétrolière et membre du parti Goran qu’il représenta au parlement régional du Kurdistan jusqu’en octobre 2022, la chute des prix du pétrole a eu un impact sur la production des champs de Garmian: “Les compagnies pétrolières partenaires du gouvernement régional du Kurdistan ne veulent pas extraire de pétrole maintenant et veulent le conserver jusqu’à ce que les prix remontent dans l’espoir de faire de meilleurs profits”, a-t-il décrit. Selon l’expert et ancien politicien, il n’est toujours pas clair si le ministère des ressources naturelles interdit aux compagnies d’extraire du pétrole ou si ce sont les compagnies elles-mêmes qui attendent une situation économique plus favorable. “Peut-être attendent-elles une chance de pouvoir transporter le pétrole par oléoducs, car cela a un coût supplémentaire de le faire par camions.”, analyse-t-il. 

“La meilleure solution pour la région de Garmian est de trouver un moyen de transporter le pétrole par oléoducs jusqu’en Iran et de l’expédier dans le monde entier.”, ajoute-t-il. Au-delà de ces enjeux, de nombreux problèmes entravent la bonne production d’hydrocarbures à Garmian. Le népotisme fait notamment des ravages dans le secteur où des employés ont des postes non pas pour leur compétences mais grâce à leurs relations personnelles.

À ces enjeux structurels s’ajoutent également de sérieux problèmes écologiques. Le Dr Abdulmatin Rafaat, expert en eau à l’université de Garmian, a expliqué à The Red Line comment le mélange d’eau, de pétrole et de gaz affecte la production. “L’eau injectée manuellement pour extraire le pétrole plus efficacement n’est pas traitée à sa sortie avec la technologie adéquate. Cette eau polluée est régulièrement déversée à même la terre, ce qui engendre une grave pollution des surfaces agricoles et du milieu naturel limitrophes aux champs de pétrole concernés”.

En plus de incidents techniques et économiques, des problèmes sociaux et politiques perturbent fortement le processus d’extraction des ressources fossiles de la région de Garmian, aggravant le mécontentement des habitants de la région. Le principal problème tient au fait que des personnes ayant des liens avec des partis et des responsables politiques haut placés interfèrent régulièrement auprès des entreprises pétrolières afin d’obtenir des emplois pour des proches, ou toucher des royalties en prétendant que les concessions pétrolières sont situées sur leur propriétés. Les bureaux des entreprises locales sont quotidiennement assiégées par des prétendants qui usent de leurs relations politiques pour tenter d’obtenir des avantages des compagnies. “J’ai arrêté de représenter Gazprom à cause de ça; j’étais harcelé par des habitants de Garmian qui tenaient absolument à obtenir des avantages ou un emploi etc…” explique un ancien employé de la compagnie russe originaire de Garmian s’exprimant sous couvert de l’anonymat. 

Propriétaires fantoches

Outre ces grandes sociétés internationales d’exploration pétrolière, deux sociétés locales kurdes irakiennes ont exploité plusieurs blocs du district de Garmian au cours des deux dernières décennies. Il s’agit de la société BlackBulls oil (BBO) et de Keep of Oil (KOO). Toutes deux étaient dirigées par des hommes d’affaires kurdes locaux (M. Dana Haji Saleh pour BlackBulls et M. Azad Abdul Kader pour Keep of Oil). Cependant, notre enquête a révélé que ces deux hommes n’étaient que des propriétaires de façade de ces sociétés et que ceux qui les dirigeaient réellement et profitaient des bénéfices de la production de pétrole dans leurs puits étaient entre autres Mahmood Sangawi, Adnan Hameimina et Ali Shahid Muhamad, les trois hommes forts dans le district de Garmian

Bien que les chefs locaux aient longtemps contrôlé une partie des activités pétrolières de la région de Garmian, cette situation s’est brusquement interrompue il y a quelques mois. Quelques semaines après que Bafel Talabani ait pris le contrôle du parti PUK à Sulaymaniyah cette année, à la suite d’un “coup” réalisé aux dépens d’autres membres de sa famille, BBO et KOO ont soudainement fusionné en une nouvelle société appelée Natron. Notre source a affirmé sans ambages que Natron était un nouveau paravent qui permettait à Bafel Talabany de prendre le contrôle des entreprises kurdes précédemment contrôlées par les chefs locaux de Garmian. Cette prise de contrôle a considérablement perturbé l’équilibre du pouvoir dans la province, ce qui pourrait entraîner une plus grande instabilité dans la production pétrolière du sous-district de Garmian.

Situé aux confins de la province kurde autonome, le district de Garmian présente des particularités certaines. La présence de pétrole en fait une zone hautement stratégique pour le KRG. Or, la discorde persistante entre Erbil et Bagdad sur la question de l’attribution des concessions pétrolières perturbe considérablement l’épanouissement du secteur pétrolier dans la région. En effet, selon la constitution irakienne signée par les autorités kurdes, les compagnies pétrolières doivent obtenir leur licence auprès de Bagdad et non pas du gouvernement régional. Plus encore, les bénéfices de cette production doivent être reversés au trésor fédéral avant d’être redistribué sous forme de salaire aux autorités régionales kurdes. Malheureusement depuis 2005, date de l’entrée en vigueur de la constitution, cet accord n’a jamais été respecté par le KRG qui a régulièrement court-circuité le pouvoir fédéral pour délivrer lui-même des licences. Sous la pression de Bagdad, plusieurs compagnies se sont d’ailleurs résignées à quitter le KRG afin de ne pas voir leurs intérêts menacés en Irak. 

L’entêtement des autorités kurdes à exploiter le pétrole de leur région sans collaborer avec Bagdad semble atteindre ses limites. Généralement exporté vers la Turquie et l’Iran, le pétrole kurde pourrait faire l’objet d’une nouvelle bataille géopolitique où les grands acteurs régionaux (la Turquie et l’Iran) se disputeraient l’usufruit de cette précieuse ressource précieuse. La prise de contrôle des installations pétrolières kurdes par Baflel Talabani, proche des intérêts turcs (contrairement à la ligne politique de son parti l’UPK jusque là, plutôt proche de l’Iran) remet en cause les équilibres régionaux et font à nouveau réapparaître le spectre d’une guerre intra-kurde où pourraient se redéfinir les équilibres de puissance. Dans ce bras de fer, le pétrole de Garmian aurait un poids géostratégique primordial.