Bassora, au sud de l’Irak : une ville riche en or noir et dominée par les miliciens. La capitale provinciale s’embrase régulièrement dans des conflits tribaux tout en restant soumise aux partis religieux fidèles à l’Iran depuis l’invasion américaine en 2003.
Bassora abrite le seul accès de l’Irak à la mer, sur les rives du fleuve Shatt al-Arab, qui coule dans le golfe Arabo-persique. Ce hub hautement stratégique est devenu un point de transit pour la contrebande et l’importation de marchandises diverses.

La ville de Bassora est riche en or noir et dominée par les miliciens. La capitale provinciale s’embrase régulièrement dans des conflits tribaux tout en restant soumise aux partis religieux fidèles à l’Iran depuis l’invasion américaine en 2003. Elle abrite le seul accès de l’Irak à la mer, sur les rives du fleuve Shatt al-Arab, qui coule dans le golfe Arabo-persique. Ce hub hautement stratégique est devenu un point de transit pour la contrebande et l’importation de marchandises diverses.

Au cours du seul mois de janvier 2021, les autorités ont trouvé les corps de 6 femmes, dont l’une était criblée de coups de couteaux, alors que les autres ont été abattues par balles. Souvent, les familles des victimes ne peuvent pas cacher leurs corps longtemps, alors elles les enterrent ou les jettent dans des décharges.

Les histoires et les secrets de nombreuses femmes ont été racontés sur les réseaux sociaux après leur meurtre. Les médias sociaux sont devenus le porte-voix des femmes irakiennes à la recherche d’aide ou pour les militantes souhaitant dénoncer les crimes d’honneur.

Le poids des valeurs patriarcales a coûté la vie à de nombreuses femmes tout en protégeant les coupables des griffes de la justice, comme le montre le cas de Dina Talib.

Originaire du village de Shuaiba dans le sud-ouest de Bassorah, Aya Talib, 20 ans, était en pleine conversation téléphonique avec sa sœur, Dina, elle-même âgée de 17 ans) lorsque cette dernière a été tuée par leur frère. L’homme a utilisé un fusil AK 47. Sa famille avait récemment découvert que Dina fréquentait un homme en secret : « Début 2021, mes frères ont découvert que Dina voyait un homme après que quelqu’un a envoyé une photo d’elle avec lui. Mon frère l’a enfermée dans une pièce et lui a tiré dessus. Quand je suis arrivé, elle n’a eu que le temps de marmonner : “fuyez, ils vous tueront aussi”, avant de mourir.

Plus tard, la famille racontera à la police que le coup est parti par erreur pendant que son frère nettoyait l’arme à la maison. “Ils l’ont tuée pour se débarrasser de la honte d’avoir une fille célibataire qui passe du temps avec un homme et la police n’a rien fait. » a ajouté Aya.

Lois tribales

Dans le district d’al Zuhair à Bassora, où les milices et les tribus imposent leurs lois, les corps des femmes sont “disposés comme des dominos”, comme l’ont souligné plusieurs femmes victimes de violence domestique dans leur entretien avec The Red Line. Dans ce jeu, les hommes de famille sont les joueurs et la victime est toujours la femme. C’est un monde où il n’y a ni loi ni justice au sein de la société et où personne n’écoute leurs cris.

L’officier Hussein Hameed, de la police communautaire à Bassora, a déclaré qu’il y avait des cas de femmes qui ont été tuées par les hommes de leur famille à la suite de simples soupçons de relations avec des hommes.

Dans certains cas, les femmes ont préféré se suicider pour mettre fin à leurs souffrances plutôt que de voir un membre de leur famille les tuer avec un couteau, une arme à feu, voire les étouffer à mort.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme à Bassora a enregistré 86 cas de suicide dans la province au cours de l’année 2020, où 57 cas de suicide étaient des hommes et 29 des femmes.

Ali al-Bayati, membre de la commission irakienne des droits de l’Homme, a déclaré que les statistiques officielles indiquent une augmentation des violences domestiques en Irak pendant la période de quarantaine imposée dans le pays en raison de la crise du Covid-19. Cela inclut les meurtres et la torture, généralement commis par le père ou le frère envers des femmes. Ces chiffres ne sont pas représentatifs car de nombreux meurtres familiaux restent enregistrés comme des « accidents ».

Noor Hassan, 19 ans, originaire de Maysan dans le sud de l’Irak, a tenté de se suicider en se brûlant après avoir subi des violences domestiques. Tuqa Ali, l’une de ses proches, a expliqué à The Red Line que Noor et ses sœurs avaient été victimes de violences de la part de leur frère à de nombreuses reprises. Celui-ci les empêchaient de sortir de la maison familiale. Récemment, il a tenté de forcer Noor à épouser son ami, mais elle a refusé. Il l’a alors retenue dans la salle de bain pendant des jours. Puis elle a tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant. Quand Noor était à l’hôpital, son frère a juré de la tuer dès qu’elle serait rétablie.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la violence à l’égard des femmes est définie comme tout acte de violence sexiste qui entraîne ou est susceptible d’entraîner des préjudices ou des souffrances physiques, sexuelles ou mentales pour les femmes, y compris les menaces de tels actes, la coercition ou la privation arbitraire de liberté, qu’elle se produise dans la vie publique ou dans la vie privée.

En Irak, la police annonce souvent la découverte des corps de femmes assassinées tuées d’une balle dans la tête ou la nuque, mais pas seulement. Récemment, une femme a été électrocutée par ses frères à l’aide d’un fil électrique mis dans sa bouche.

Dans un rapport publié en avril 2020, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a indiqué qu’une femme irakienne sur cinq est soumise à des violences physiques, tandis que 14% des femmes déclarées comme victimes d’abus étaient enceintes au moment des faits.

Le docteur Kareem Ali a déclaré qu’il était confronté à de nombreux cas de femmes tuées ou maltraitées: “Souvent, nous recevons des femmes à l’hôpital et nous savons immédiatement qu’elles ont subi des violences conjugales ou familiales”, explique-t-il. Pourtant, la plupart des femmes sont terrifiées à l’idée de dénoncer leur agresseur par peur de leur vengeance, ou parce qu’elles savent que l’agresseur sortira de prison quoi qu’il arrive, s’il est seulement arrêté. Le risque de stigmatisation sociale est un autre facteur les empêchant de dénoncer les violences qu’elles subissent. 

Souvent, les victimes de crimes d’honneur sont souvent comptabilisées comme des cas de suicide ou comme victimes d’une crise cardiaque. Cela est facilement obtenu par la famille qui peut aller jusqu’à menacer le personnel médical. Les médecins légistes se soumettent généralement aux familles des victimes par peur d’une vengeance tribale. Le danger est réel : le clan du docteur pourra être visé s’il refuse de leur obéir. En Irak, l’autorité de la tribu prend généralement le pas sur l’État de droit.

Il n’y a pas de statistiques exactes sur le nombre de femmes victimes de meurtres ou de violences, en raison de l’incapacité des victimes à se signaler. De plus, la loi irakienne autorise un mari ou un père à « discipliner » sa femme et ses enfants à condition qu’ils ne soient pas victimes d’un handicap permanent. En l’absence d’application d’une loi sur la violence domestique et du fait du manque de refuges sûrs pour les femmes fuyant les violences domestiques, la police recherche généralement un règlement entre l’agresseur et la victime… si cette dernière survit à la colère de ses proches.

Il convient de mentionner que l’Irak n’a jamais adopté de loi sur la violence domestique. Seule la Région autonome du Kurdistan au nord de l’Irak dispose d’une telle législation, qui ne protège toujours pas efficacement les femmes. De plus, le code pénal irakien encourage des peines plus légères pour les “crimes d’honneur”.

Influence des groupes armés

Selon la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, les femmes sont touchées de manière disproportionnée par la prolifération des armes légères et de petit calibre. Les armes à feu occupent une place prépondérante dans les cas de violence à l’égard des femmes dans le cadre domestique.

La Ligue indique qu’il n’y a pas d’institution centrale en Irak qui suit les cas de violence contre les femmes, même si un certain nombre d’institutions collectent des données sans structurer leurs recherches. Ces données ne sont généralement pas centralisées. Il n’existe donc pas de base de données fournissant des données -ventilées par sexe par exemple- sur les actes de violence.

Avec la prolifération des armes, la montée en puissance des groupes religieux armés en Irak, le manque d’indépendance des forces de sécurité, ainsi que l’influence et la pression exercées sur les institutions et la justice par les groupes politiques et les tribus, les droits des femmes restent profondément limités à travers le pays. Depuis l’invasion américaine en 2003 et l’affaiblissement de l’État de droit, les milices locales ont régulièrement tué des femmes, affirmant qu’elles travaillaient avec des forces étrangères ou même parfois simplement parce qu’elles ne portaient pas le hijab. Les corps sans vie des femmes ont été jetés dans les rues tandis que leurs familles ont été prévenues qu’elles ne devaient pas les approcher ni les enterrer, selon le rapport de HRW mentionné précédemment.

La nouvelle génération

Samea Ramy, une militante féministe basraouie, a expliqué que les violations graves commises contre les femmes ne font généralement pas l’objet d’enquêtes et que l’agresseur reste généralement impuni. Par peur des représailles, la police, qui connaît souvent l’identité du tueur, ne fait rien. « Dans notre société, la vie des femmes est accessoire alors que les autorités irakiennes ferment les yeux sur la situation », explique l’activiste.

La sociologue Ruba Ali a déclaré que « la pauvreté et la persécution sociale mènent directement à la violence domestique, en particulier contre les femmes, ainsi qu’au mariage des filles mineures. Les dernières manifestations qui ont secoué l’Irak en 2019, menées par une jeune génération, offrent un élan nouveau qui ouvre la voie à la sortie de ce système patriarcal. Durant les manifestations, on a vu de nombreuses femmes militantes jouer un rôle clé, mais il faut du temps pour changer une société. », explique la sociologue.

Selon Mme Ali, les crimes d’honneur visent toute femme qui s’écarte de l’autorité d’une société patriarcale, et le mot « honneur » justifie tout crime commis contre elle. L’Irak a besoin d’écrire de nouvelles lois et d’en abroger certaines, en particulier celle qui permet à un violeur d’épouser sa victime en toute impunité.  La police communautaire, force de sécurité composée d’hommes et de femmes chargés par le ministère de l’Intérieur depuis 2008 de renforcer la confiance entre la police et les communautés locales, s’est avérée inefficace pour protéger les femmes car elle renvoie souvent la victime à son ou ses agresseurs sous prétexte de protéger la famille. Au lieu de cela, les autorités devraient fournir des refuges aux femmes fuyant la violence domestique.

« La nouvelle génération a un regard nouveau, ouvert et respectueux envers les femmes », a ajouté Ruba. Pourtant, il existe encore de nombreux obstacles pour changer la situation actuelle. Les partis religieux au sein du parlement irakien ont rejeté la loi sur la violence domestique sous prétexte qu’elle violait les valeurs religieuses et la nécessité pour l’homme de contrôler sa femme et ses filles.

Victimes silencieuses

Nada Fadel a encore des cicatrices nettes sur son visage et son corps épuisé. Chacune de ses blessures raconte l’histoire d’années de violences causées par son père et ses frères avant qu’ils ne l’aient forcé à épouser un homme de quinze ans son aîné en échange d’une somme d’argent versée à son père.

« Mon mari avait l’habitude de traverser des crises de colère lorsqu’il n’était pas en mesure d’acheter de la drogue. Il me frappait violemment et lorsqu’il a essayé de frapper notre bébé, je me suis enfui chez mon père mais il m’a battu afin de me forcer à retourner chez mon mari. J’ai alors décidé de m’enfuir avec mon enfant dans une autre ville, » se souvient Nada. Elle vit maintenant dans un refuge pour femmes battues et ne peut obtenir aucun document officiel pour son enfant.

Avec le début des manifestations le 1er octobre 2019, les femmes se sont jointes aux hommes pour manifester pour la première fois depuis de nombreuses années. Elles sont sorties unies dans des mouvements féministes du centre et du sud du pays pour promouvoir leur agenda.

Le mouvement de la “révolution d’Octobre” est ainsi parvenu à forcer un gouvernement à démissionner, mais il a été brutalement réprimé par les forces de sécurité et par certaines milices irakiennes. Pourtant, ce mouvement pourrait ouvrir la voie vers plus de justice pour les femmes après des décennies, voire siècles d’oppression dictée par les règles patriarcales et l’absence de lois de protection qui ont fait des femmes une marchandise dans la société.

Lors des manifestations de 2019 et 2020, des femmes irakiennes sont descendues dans les rues du centre de Bagdad et du sud de l’Irak au mépris des appels du chef politique et religieux Muqtada al-Sadr. Celui-ci appelait à la ségrégation entre les sexes sur les sites de manifestations antigouvernementales. De nombreuses femmes ont été menacées, tuées ou contraintes à l’exil à cause de cela, ce qui montre à quel point la route vers l’égalité des sexes et la protection des femmes et encore longue et sera douloureuse en Irak.

Alors que la mémoire des femmes assassinées n’a pas été redressée avec justice, d’autres sont confrontées au même destin. L’absence de législation pour prévenir la violence domestique en Irak  transforme les femmes en cibles et en victimes perpétuelles. Cette situation a réussi entretient l’aliénation des femmes au sein de leurs propres familles où elles doivent se méfier des hommes qui représentent une menace permanente.

ViaSanar Hassan