Alors que la mafia irakienne a investi dans le business des déchets, les patients affluent dans les hôpitaux, enfants en tête. Le trafic de déchets génère beaucoup d’argent en Irak à travers un partenariat entre agences gouvernementales et opérateurs privés peu scrupuleux. Entretemps, les organismes de réglementation se réfugient dans le silence. Dans le camp Al-Rasheed, les habitants tirent leur subsistance en récoltant des déchets dans les décharges que la municipalité de Bagdad négocie pour 10 000 dinars irakiens (moins de  sept dollars) par jour.

En Irak, le travail des mineurs n’est pas nouveau; il est presque banal. Mais ce qui est nouveau en la matière, c’est l’exploitation des enfants dans un commerce véritablement sale, dans tous les sens du terme. Pour un salaire encore plus bas que celui des adultes, eux aussi miséreux, des milliers de mineurs arpentent les décharges publiques irakiennes à la recherche de leur subsistance. Ces puits de pollution environnementale et de maladies fournissent à ces nombreux mineurs leur pain quotidien au prix de leur santé, leur éducation et d’une enfance digne de ce nom. Sans alternatives, ces mineurs sont les plus exposés aux dangers du fait de la négligence totale du gouvernement et de l’exploitation manifeste du dénuement des familles par des individus peu scrupuleux.

Comme de nombreux autres jeunes, Meriem et trois de ses sœurs ont quitté leur enfance trop tôt pour accéder malgré elles à l’âge adulte de manière prématurée. La pauvreté, l’ignorance et le besoin ont pesé lourdement sur ces enfants, obligés d’assumer trop tôt des responsabilités et le fardeau de la subsistance. Meriem ne connaissait pas le sens du travail ou de la collecte des déchets, et elle ne savait pas qu’au milieu de ces tas de terre chargés d’odeurs, il y avait de l’argent à gagner, mais sa famille l’a dirigée vers ce monde.

Dans la décharge d’Al-Rasheed, à l’est de Bagdad, les chiffonniers vivent parmi des collines de déchets divisés en deux camps. Certains d’entre eux se plaignent que ces tas de déchets détruisent leur vie et les considèrent comme la principale source de maladies. D’autres y voient seulement un moyen de gagner leur vie, en particulier ceux connus sous le nom de « marchands de déchets », qui bénéficient de la coopération du gouvernement avec leur commerce.

Le travail des enfants et les déchets.

Les familles du camp Al-Rasheed, recrutent leurs propres enfants pour collecter des déchets. Cette décharge n’est pas la seule où ce genre de trafic s’organise. D’autres comme la décharge du pont de Diyala au nord de la capitale, on retrouve la même économie informelle. Selon le porte-parole du ministère irakien de la Planification, Abdul-Zahra Al-Hindawi, l’exploitation des mineurs reste un phénomène marginal: « Le pourcentage de travail des enfants en Irak ne dépasse pas 1,6 % des statistiques de 2020, alors que ce pourcentage a tendance à augmenter dans la région du Kurdistan », affirme-t-il dans son interview auprès de The Red Line.

Pour l’Organisation des Nations Unies, le tableau est plus sombre. Ces dernières années, l’UNICEF a suivi plus de 10 000 enfants irakiens victimes de travail forcé.  Selon les statistiques du département américain du Travail, quelques 5.3% des enfants irakiens travaillent plutot que d’aller à l’école. 

Pour Ali Abdul Karim Al-Bayati, un membre de la Commission des droits de l’Homme irakienne: « du fait de la corruption, les gouvernements successifs ne coopèrent pas de manière sérieuse pour résoudre ce phénomène ».

Le business des déchets est une mécanique bien huilée, coordonnée avec le conducteur de la collecte des déchets de la municipalité de Bagdad. Les chiffonniers d’Al-Rasheed, et du pont de Diyala, revendent généralement leurs collecte aux employés de la municipalité de Bagdad pour un montant n’excédant pas 10 $ par jour, a déclaré Abu Maryam (un pseudonyme), un habitant du camp d’Al-Rasheed pour The  Red Line. « La pauvreté nous a poussé à travailler dans la profession des déchets, nous n’avons pas d’autres moyens de subsistance. », déplore-t-il.

Une mort lente et un ciel empli d’odeurs

Muhammad Al-Anbaki, un militant écologiste en Irak, a déclaré : « l’incinération des amoncellements dans les décharges par les marchands de déchets noircit régulièrement le ciel de Bagdad, sans parler de l’odeur insupportable que ces feux véhiculent. » Bagdad subit ainsi cinq à six fois par an ce phénomène et qui affecte toute la capitale, si bien que les bagdadis se réveillent dans une atmosphère emplie d’impuretés noires et d’une odeur pestilentielle.

La zone du pont de Diyala souffre également de la pollution environnementale due à la présence du réacteur Tammuz, un réacteur nucléaire qui a été bombardé le 7 juin 1981. Al-Ambaki a déclaré : « Les conséquences de la pollution environnementale du réacteur affectent les habitants de la zone. »

De 1991 à 2003, le nombre de patients atteints de cancer en Irak a atteint 131 072, alors que ce nombre a considérablement augmenté après l’invasion américaine de l’Irak en 2003. De 2004 à 2018, le nombre de patients atteints de cancer a atteint 287 254, selon les rapports du ministère de la Santé.

Certains considèrent que ce nombre déclaré est bien inférieur au nombre réel de patients atteints de cancer. Selon un rapport du site Daraj, 500 personnes meurent chaque année en Irak des suites de cancers résultant de déchets de réacteurs ou d’autres blessures (3).

Accusations

Chaque cas d’incendie des déchets du camp d’Al-Rasheed cause des centaines de cas d’asphyxie dans les environs des cas. « Environ 200 personnes sont acheminés dans les hôpitaux de Bagdad à chaque incinération de déchets. Les opérations d’incendie du camp se répètent quatre à cinq fois pendant un mois », a déclaré l’expert environnemental, Abdul Razzaq Al-Shammari, dans une interview avec The Red Line. Al-Shammari a accusé les forces de sécurité qui détiennent le terrain de coopérer avec les marchands de déchets, et a déclaré qu’ils « permettent à certaines collecteurs de déchets qui ne sont pas affiliées à l’office d’entrer dans cette zone et de décharger leurs cargaisons de déchets ».

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de sept millions de personnes sont mortes ces dernières années à cause de la pollution de l’environnement causée par les incendies du camp de Al-Rasheed.

Dans une interview accordée à Red Line, le directeur adjoint de la municipalité de Karrada, Jassim Muhammad Yahya, partage l’opinion d’Al-Shammari, déclarant : « Les collecteurs transportant des déchets qui entrent dans le camp appartiennent à certaines entreprises qui n’ont aucun lien avec la municipalité de Bagdad, et ils entrent au su des employés du Ministère de l’Intérieur qui sont censés surveiller les accès aux décharges.»

Le ministère de l’Intérieur a tenté de se démarquer de l’accusation d’implication de ses membres dans le trafic de déchets :« Le déploiement de véhicules de police a pour but de protéger la zone du camp de Al-Rasheed.» , a déclaré le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Al-Muhanna, à The Red Line.

Les hôpitaux anticancéreux reçoivent plus de 12 000 cas de cancer par an. Si les causes de cette pollution sont diverses, certains pôles concentrent les taux de cas les plus élevés, comme la zone du pont de Diyala, le réacteur de Tammuz ou encore le camp de Al-Rasheed. L’absence de couverture végétale, ainsi que les problèmes graves dans le processus de traitement des déchets par les institutions et les industries qui ne sont pas toutes soumises à un contrôle réel par les autorités concernées, impacte la population toute entière. 

Malgré la mauvaise gestion des gouvernements successifs depuis 2003, ainsi que la corruption endémique dans le pays, le maintien d’un environnement sain et la garantie que les enfants n’entrent pas sur le marché du travail et ne perdent pas leur avenir, restent parmi les devoirs de l’État tels que stipulé dans la Constitution irakienne. Malgré l’instabilité dont témoignent les administrations répétées des institutions gouvernementales, au gré des caprices des détenteurs de l’autorité, il est nécessaire d’impliquer les organisations humanitaires et environnementales et les militants dans le processus de sensibilisation du peuple et du gouvernement sur le danger que L’Irak soit confronté au danger environnemental, qui peut menacer d’une catastrophe.