Comme dans chaque gouvernorat en Irak, Ninive a mis en place des mesures de précautions sanitaires. Mais du fait des destructions endurées pendant la guerre contre l’organisation État Islamique (OEI), certaines spécificités de cette région ont rendu la campagne sanitaire encore plus difficile et ont montré à quel point le gouvernement n’était pas prêt à affronter la crise de manière efficace.

Pour pallier les effets de cette catastrophe meurtrière, de nombreuses femmes de Mossoul et de ses faubourgs, loin de baisser les bras, ont pris part à des projets humanitaires et sociaux. La pandémie a donc permis aux femmes de Ninive de faire preuve d’une créativité inspirante malgré la faillite gouvernementale quant à la gestion de la pandémie. 

Les femmes face au Coronavirus

Alors que de nombreux projets locaux et internationaux tentent de valoriser et de renforcer le rôle des femmes dans la société, à Mossoul, celles-ci continuent de subir persécutions et marginalisation dans une société que l’on peut aisément qualifier de patriarcale, tant sur le plan politique que socio-économique. En Irak, elles sont littéralement perçues comme des citoyennes de seconde classe. 

Hanan Omar est le pseudonyme d’une veuve de 35 ans originaire de la province de Ninive. Dans son interview, elle retrace les douloureux évènements auxquels elle a dû faire face. Sa voix trahit ses traumatismes. Cependant, elle ne manque pas d’exprimer la fierté de voir tous les efforts entrepris par les femmes dans sa province. 

“La plupart des femmes impliquées dans des projets et des entreprises sont des mères et ont de très nombreuses responsabilités. Elles portent ce fardeau et n’hésitent pas à faire preuve de créativité malgré le conservatisme ambiant dans la société où elles n’ont généralement pas la chance de s’exprimer librement”, raconte-t-elle.

Mère de trois enfants, Mme Omar poursuit son récit, expliquant qu’elle a rejoint un atelier de création durant trois mois en mettant à contribution ses qualités de couturière. Dans cet atelier, les femmes produisent du matériel médical pour les nécessiteux. “C’était une expérience fatigante et difficile, mais le sentiment d’avoir des responsabilités m’a poussé à tenir”, avoue-t-elle. 

Selon Maryam Hanin, une militante de 37 ans originaire de Ninive, il y a un besoin encore plus important de soutien international et régional pour les femmes de Ninive. “Nous vivons dans une société conservatrice et d’une certaine manière, la pandémie de COVID-19 a ouvert une brèche qui va nous permettre de prouver notre efficacité au sein de la communauté dans ces temps difficiles. Cela montre que nous pouvons apporter beaucoup de choses dans des circonstances difficiles”, avance-t-elle.

En 2015, le Réseau des Femmes Irakiennes (Iraqi Women Network) a lancé un nouveau projet baptisé “Paix et Sécurité Partagées” (Communal Peace and Security). Cette initiative est née lors du Forum Régional pour la Sécurité des Femmes. Son objectif est de renforcer le rôle des femmes et leur participation dans le processus de développement et de reconstruction suite à la guerre contre l’organisation État Islamique qui a détruit l’essentiel des infrastructures de la province. 

Pénuries et défaillances dans les hôpitaux

Trois ans après la libération de la ville, les souffrances perdurent et se multiplient. Cela fut particulièrement le cas lorsque le virus s’est répandu en Irak car Mossoul manque toujours cruellement d’institutions sanitaires, notamment d’unités de soins intensifs.  

“Les femmes de Mossoul ont besoin d’une assistance particulière, surtout depuis la libération de la ville de l’organisation terroriste” soutient Ali Khudair, un membre du conseil provincial de Ninive. “Les mossouliotes ont une place très limitée pour s’affirmer et leur rôle est marginalisé dans notre société, mais cela ne les a pas empêchées de faire preuve d’une grande générosité ces derniers mois”, ajouta-t-il. 

“Les programmes de santé sont quasiment inexistants dans la province de Ninive et les statistiques des cas de COVID-19 sont biaisés. Les tests positifs ne sont pas bien comptabilisés car il nous manque l’équipement adéquat pour faire des tests standardisés”, explique Mr. Khudair. “Le gouvernement est inefficace et n’est pas intéressé dans la reconstruction du gouvernorat. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les projets liés à la santé. 33 milliards de dinars (près de 25 millions d’euros) ont été déboursés pour reconstruire et équiper les hôpitaux al Salam et Qayyara depuis 2019. Mais rien n’a été fait, personne n’a bougé le petit doigt”, conclut le fonctionnaire de la province. 

Corroborant cette vision de la situation, le Directeur des affaires sanitaires de Ninive, Mr. Falah al Taie explique que les financements du gouvernement central sont loin de suffire devant l’ampleur de la tâche: “Les infrastructures sont en lambeaux et les hôpitaux sont toujours en mauvais état. Bien que certaines organisations internationales aient pris en charge leur reconstruction, les travaux sont trop lents et les sommes allouées sont minimes. La population a un besoin urgent d’hôpitaux performants, de médicaments et d’équipements modernes”, confie-t-il. Mr. al Taie ajoute que pas moins de 18 hôpitaux ont étés détruits et ont dus être remplacés par des hôpitaux de campagne ambulants sur de nouveaux sites. Pendant ce temps, la capacité des lits n’atteint pas 50% de leur nombre d’avant guerre. 

Les observateurs familiers de la situation de la province de Ninive sont unanimes sur le fait que l’interférence politique, les conflits et l’influence des milices ont empêché la fourniture des services nécessaires dans le gouvernorat. Lors d’une conférence de presse, un assistant au sein du bureau du gouvernorat de Ninive, Mr. Abd al-Rahim al-Shammari a fait le constat de la faiblesse du gouvernement et du manque de sérieux concernant la lutte contre la corruption. Selon ce représentant, de nombreux acteurs influents extérieurs à la province s’arrogent la supervision de projets de développement dans ce qui s’apparente à de la corruption. 

Un soutien vital en matériel médical

Sakina Mohammed est conseillère au gouverneur sur la question des femmes et de la protection sociale. Elle nous explique que la propagation du virus a poussé le gouvernement provincial à prendre des décisions, notamment des campagnes d’information et de sensibilisation via des séminaires éducatifs pour apprendre aux femmes à mettre en place des mesures préventives pour combattre l’épidémie. “Cela fut nécessaire car le virus était totalement nouveau, très différent des précédentes maladies qui ont frappé le pays”, explique-t-elle. Parallèlement, un atelier de couture a été mis en place en coopération avec l’ONG Abnaa al-Hadbaa afin de distribuer des milliers de masques et du matériel de protection gratuitement. “Ce projet est entièrement géré par plusieurs centaines de femmes travaillant dans l’atelier”, explique Mme Mohammed. 

La contribution des femmes dans cette crise a permis d’en encourager d’autres à travailler. L’attrait d’un salaire en cette période de crise a aussi contribué au succès de cette entreprise bien que des centaines de femmes y ont participé de manière volontaire. “Actuellement, il y a des dizaines de femmes qui continuent de soutenir cette initiative et d’y travailler” ajoute la conseillère. 

Par ailleurs, le directrice de l’organisation, Mme Ola al Othman nous a décrit comment son entreprise a débuté: “J’ai établi mon centre de production seule avec des dons modestes au moment où la pandémie a commencé à se propager dans Mossoul. A ce moment là, les voies de circulations étaient coupées à l’intérieur du pays et aux frontières. Malgré tout cela, nous avons pu produire des équipement de protection tels que des masques, des combinaisons, des visières chirurgicales et bien plus. Grace au travail de notre équipe féminine, nous avons pu produire 600 000 masques et les vendre en pharmacie à des prix très modestes” raconte-t-elle. 

A la fin de la quarantaine, les marchandises ont recommencé à circuler et à arriver sur nos marchés, ce qui a diminué l’intensité de production de l’atelier. Toutefois, 22 femmes y travaillent toujours aujourd’hui et d’autres continuent de travailler depuis chez elles car leur familles ne les autorisent pas à sortir de chez elles. 

Souffrances et difficultés pour les salariées

Mme Al-Othman nous a confié les difficultés rencontrées par les femmes travaillant dans son entreprise. “Je travaillais dès l’aube jusqu’au coucher du soleil à deux différents emplois: un à l’entreprise, et un autre à l’hôpital. J’ai dû m’organiser, notamment pour gérer ma vie de famille et le bien être de mes enfants. Mme Othman a été infectée par le COVID-19 et a géré son entreprise par téléphone pendant plusieurs jours, s’assurant notamment de la qualité des produits. “Je n’ai pas éventé mon état de santé à l’époque pour ne pas créer de frustration ou de panique”, avoue-t-elle. 

Selon Marwa Muhammad, une employée de cette entreprise âgée de 29 ans, les conditions de travail étaient également très difficiles. “C’était très dur de nourrir nos familles, s’occuper de nos enfants et de satisfaire nos maris” soutient-elle. Mais l’impératif de soutenir la société avec des produits sanitaires l’a emporté. “Les hommes doivent accepter les réalités difficiles de notre ville et ce que les gens endurent après être sorti de cette guerre destructrice. Dans ces circonstances, la fraction la plus vulnérable de la société, c’est toujours les femmes”, conclut-elle. 

Une part non négligeable de femmes et d’enfants a été affectée tant psychologiquement que physiquement par les crimes commis par l’organisation Etat Islamique. L’exposition des femmes à la violence, au nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité commis à Mossoul par les terroristes de l’OEI se sont ajoutés aux souffrances émanant de la crise humanitaire et de leur vulnérabilité physique, sociale et économique.

Alors que l’Irak fait face à une nouvelle vague d’infections de COVID-19, il y a fort à parier que les femmes vont à nouveau se retrouver exposées à d’importants obstacles venant du conservatisme de la société. Cependant, les expériences passées nous ont montré que les femmes peuvent jouer un rôle hautement positif en prenant part à des initiatives vitales pour pallier les déficiences gouvernementales ou le manque d’infrastructures dans cette région dévastée par la guerre. 

Via Mowafaq Mohammed